J'étais aux anges au terme de cette quotidienne magique. J'avais eu le privilège de rencontrer un artiste que j'affectionnais tout particulièrement et cette interlude ressemblait à un rêve éveillé.
Danny était un être charmeur et incroyable. Sa prestation sur scène avait imprimé en moi une sensation de bien-être incommensurable. Ce qui avait eu le mérite d'effacer l'autre épisode moins sympathique de ma journée. La crise que m'avait tapé Gabin un peu plus tôt dans l'après-midi me semblait soudain si loin.
J'avançais aussi guillerette qu'une gamine dans le dédale de couloirs, décidée à rejoindre mon bureau et récupérer mes affaires avant de rentrer chez moi.
- Excusez-moi, Mademoiselle.
Quelqu'un me héla à l'autre bout du couloir dans un français au fort accent britannique puis j'attendis qu'il me rejoigne à grandes enjambées essoufflées.
- Vous êtes un vrai courant d'air, jeune fille. Continua-t-il entre deux soupirs fatigués.
L'homme en question devait avoir la cinquantaine bien entamée et arborait un embonpoint discret sous sa chemise noire. Il était en sueur et je m'en voulus de l'avoir faire courir de partout.
- Bonsoir. Monsieur ?
- Ho, pardon. Oui, je suis Georges Phelps et je gère les déplacements en métropole de Monsieur Otto.
- Enchanté, Monsieur Phelps. Je suis Lucie Morgane. Répondis-je en lui tendant une main amicale.
Il s'en saisit d'une poigne un peu moite mais je ne lui montrais pas l'effet rebutant que cela eut sur moi et offrit donc un sourire discret.
- Enchanté, mais je savais déjà qui vous étiez. Monsieur Otto a été très explicite sur votre description. Il se racla la gorge dans un rictus amusé. Monsieur Otto a laissé ceci pour vous et il souhaiterait vous convier à son concert de jeudi soir. C'est à l'Accord Hotel Arena et il ...
Mais déjà je ne l'écoutais qu'à moitié, les yeux rivés sur l'enveloppe qu'il me tendait.
Avais-je bien compris que Danny Otto Junior, le seul, l'unique m'invitait, moi, personnellement à l'un de ses concerts ?
Un sourire immédiat et indélébile ébranla ma bouche.
- Vous êtes sûr qu'il s'agit bien de moi ?
Un léger rire sortit d'entre ses lèvres et il affichait maintenant une mine attendri qui plissa brièvement ses yeux.
- Monsieur Otto a bien spécifié que la magnifique brune répondant au nom de Lucie devait recevoir cette invitation. Apparemment, vous n'êtes pas passé inaperçue, mademoiselle.
Se rendait-il compte que l'embarras faisait monter le rouge à mes joues ?
- Vous trouverez dans cette enveloppe, deux cartons d'invitation, pour vous et quelqu'un de votre choix ainsi qu'un pass VIP. Continua-t-il.
- Un pass VIP ?
- Au cas où l'envie vous prendrait de passer le voir en coulisses.
Je fixais cette enveloppe d'un air ahuri tandis que l'homme me souhaitait une excellente soirée et se retira presque aussitôt. Reprenant le contrôle de mes jambes, je continuais mon chemin dans ce couloir maintenant désert. J'allais atteindre la porte menant à l'open quand l'éclairage cessa d'émettre et je me retrouvais dans le noir presque total si ce n'était la lumière blafarde du panneau d'issue de secours au-dessus de la porte.
Je n'étais pas particulièrement phobique de l'obscurité cependant ce lieu vaste et froid me donna quelques sueurs froides soudain. A tâtons, je cherchais sans succès l'interrupteur et me rassérénais. La distance à parcourir n'était plus très longue alors en évitant de chuter par maladresse, je continuais presque à l'aveugle.
Mon pas se guida à la main que je posais sur le mur mais il me paraissait démultiplié comme l'écho d'une goutte qui tomberait à intervalles réguliers d'un robinet mal refermé. Regardant brièvement par-dessus mon épaule, je me rendis compte qu'en fait il y avait quelqu'un au fond du vestibule. Une ombre massive, silencieuse, inquiétante. Je devais halluciner, les sens exacerbés par ce manque de lumière mais j'avais de plus en plus la boule au ventre. Intuitivement, je pressais le pas.
Je m'exhortais à ne plus lorgner en arrière. La porte n'était plus très loin. Un rien m'en séparait maintenant. J'allais l'atteindre dans quelques pas. Une de mes mains relâchait déjà l'enveloppe que j'agrippais si vivement. Je me préparais à actionner la poignée dés que je l'aurais atteint. Dans une ou deux foulées , j'y serais et je me libérerais enfin de cette angoisse.
Mais une poigne de fer me retint. J'aurais pu hurler mais n'en eus pas le temps. Sans pouvoir réagir, je me retrouvais propulser dans une pièce inconnue. On aurait dit qu'elle s'était ouverte devant moi par un affreux maléfice.
- Lâchez-moi ! Espèce de ...
Impossible de lui faire lâcher la pression sur mon bras et l'obscurité, ici, plus épaisse encore, me rendait la présence d'un fantôme malfaisant.
- Du calme, Lucie. C'est moi, Gabin.
Il appuya sur un interrupteur que lui seul semblait connaître et la lumière poussiéreuse d'un petit réduis encombré de matériel d'entretien se dessina autour de nous.
Gabin libéra enfin mon bras mais je continuais de fulminer. Non, en fait, du moment où je sut qu'il s'agissait de lui, je sentis monter dans ma gorge un courroux sans égal.
- Qu'est-ce qu'il te prend ? Clapis-je, furibonde.
- A moi ? Tu me demandes ce qu'il me prend à moi ?
Pourquoi me dévisageait-il comme il était en train de le faire en ce moment ?
J'avais l'impression d'avoir fait une erreur. Il me sermonnait comme une gosse.
- C'est une plaisanterie, j'espère ? Que me reproches-tu pour te permettre de m'enfermer là-dedans ?
- A quoi jouait-tu sur le plateau ? Tu n'avais rien à y faire.
Il se fichait de répondre à mes interrogations. Tout ce qui comptait pour lui était de continuer de m'assaillir d'autres questions abrutissantes.
- J'ai juste sauvé la mise à ton patron mais à part ça rien de plus. Tu devrais me remercier au lieu de me faire un sermon sans aucune raison ! Haussais-je.
- Rien de plus à part batifoler avec la première gueule d'ange que tu croises !
Lui aussi parlait très fort et pendant une seconde, j'imaginais que si quelqu'un venait à passer dans le couloir, il risquait d'être surpris.
- Je ne te dois absolument rien et si l'envie me prend de "batifoler" avec un gars pour le moins tout à fait charmant, c'est moi que ça regarde, non ?
- Pff.
Il était très en colère et je n'avais aucune idée de ce qu'il lui prenait.
- Ce gars joue avec toi comme avec la plupart des filles qu'il rencontre dans ses tournées. Tu n'en ait qu'une parmi tant d'autres. Cracha-t-il, insolent et jaloux.
- Je ne sais pas pourquoi tu t'imagines avoir le droit de me juger comme tu le fais maintenant mais saches que tu m'as reproché de ne pas te connaître et d'ignorer ce qu'est le courage. Gabin, tu n'es qu'un sale gosse immature qui n'a pas la moindre idée de qui je suis ou ce par quoi j'ai dû passer pour en arriver là.
J'ouvrais déjà la porte à la volée.
- J'irais le rejoindre jeudi soir que tu le veuilles ou non. Ho, et puis au lieu de t'inquiéter pour moi, tu devrais peut-être aller retrouver Marysa. Sur ce, bonne soirée, Gabin.
Je le laissais coi dans son cagibi merdique et reprit mon chemin comme prévu avant cette nouvelle intervention injustifiable.
VOUS LISEZ
LA FATA MORGANA
General FictionSi je vous disais que la seule chose qui me raccroche à la vie est la certitude que je fais le bon choix. Celui de tout donner pour lui. Mon existence entière. Mon âme. Tout ce qui me définit. Je ne deviens que le vaisseau de cette mission que je...