Chapitre 29 : L'Appel du Repère (1/2)

134 23 49
                                    

Une boule de fumée éclata en plein milieu d'un terrain vague. La Lune en croissant éclairait l'étendue d'herbe dans laquelle Caiti et Nioclás atterrirent. Leur chute lourde et incontrôlée vint briser le silence de la nuit. La jeune femme, particulièrement mal en point, ne put retenir un cri de douleur quand son corps blessé rencontra le sol. Cette terre jonchée de cailloux aggrava son état déjà bien lamentable. Elle aurait pu se téléporter à de nombreux autres endroits, mais son cœur l'avait guidée ici, dans ce pâturage à moutons, à l'endroit exact où elle avait rencontré Marius. L'homme qu'elle aimait. L'homme qui la haïssait. Caiti finit par se recroqueviller dans l'herbe, à peine assez consciente de ce qui venait de se produire pour se rendre compte qu'elle n'était pas seule.

Nioclás, quant à lui, après une roulade quasi maîtrisée, se redressa. Il jugea la sorcière de longues secondes, déçu de la voir dans un tel état, avant d'entamer la discussion :

« Je n'imaginais pas que nos routes se recroiseraient un jour, et encore moins dans cette circonstance quelque peu atypique.

– Je n'ai plus rien à voir avec le Repère..., parvint-elle à articuler entre deux déglutitions difficiles.

– Lirais-tu dans mes pensées ? répliqua-t-il avec cynisme, surpris qu'elle ait deviné son intention. »

Il commença à lui tourner autour, d'un pas lent et mesuré. Il souhaitait l'oppresser, instaurer sa supériorité qu'il n'aurait pas pu gagner dans un autre contexte.

« Je ne voudrais pas profiter de la situation, mentit-il, mais je pense que tu ne peux pas refuser ma proposition.

– J'ai déjà dit non il y a neuf ans, ce n'est pas aujourd'hui que je changerais d'avis !

L'implication qu'elle mit dans son intonation la fit tousser. Ses côtes brisées appuyaient sur son poumon. Il lui suffisait d'un souffle trop prononcé pour se faire souffrir.

– Tu es seule, rejetée par celui que tu aimes, blessée et à deux doigts de t'évanouir. Caiti, ose me dire qu'il y a une meilleure solution que de répondre enfin à l'appel du Repère. Honnêtement, tu n'aurais jamais dû nous quitter.

– Il voulait m'utiliser pour des fins que je n'approuvais pas. Et que je n'approuve toujours pas.

– Les choses ont évolué de notre côté. Et, vraisemblablement, tu as toi-même de la peine à filtrer le bien du mal, au vu de tes derniers actes. Je te trouve assez mal placée pour juger les choix et les agissements de notre communauté.

– Je suis épuisée. Je t'en conjure, laisse-moi tranquille.

– Non, trancha-t-il. Je ne te laisserais pas seule, là, au milieu de nulle part. Je devine assez aisément que tu ne sais pas où aller, sinon on se serait trouvés à l'abri d'un toit plutôt qu'au beau milieu d'une prairie. »

Caiti tenta de se relever. L'humidité de l'herbe commençait à lui glacer les os. Elle était agacée de la présence de cette vieille connaissance, mais c'était certainement l'unique personne qu'elle avait côtoyée aujourd'hui et qui ne voulait pas sa mort. Elle n'était pas en mesure de la repousser indéfiniment, alors elle accepta sa main tendue et s'en aida pour se remettre sur pieds. Ses côtes brisées lui arrachèrent un nouveau cri de douleur.

À présent debout, elle attendit que Nioclás reprenne la parole, ce qu'il fit sans tarder :

« Tu sais, ça ne t'engage à rien. Téléporte-nous là-bas, tu y resteras le temps que tu voudras, ce n'est pas une prison. À l'heure actuelle, tu as besoin de repos, de confort et de discrétion. Cite-moi un autre endroit qui t'assure ces trois points. Allez, ne fais pas ta timide, tu sais que tu as toujours été la bienvenue au Repère. »

Elle ferma les yeux et se concentra sur sa respiration saccadée. Oui, il fallait qu'elle recouvre ses forces pour pouvoir se soigner. Oui, elle devait se trouver un refuge où personne ne lui poserait de questions. Et oui, il lui fallait la chaleur d'un logis, et de quoi manger. En faisant le tour de sa mémoire, elle capitula : seul le Repère lui promettait ces conditions. Elle avait vu du pays dans sa vie, rencontré beaucoup de monde, mais elle n'avait laissé derrière elle aucune maison pour s'héberger. Aucun ami pour la consoler. Aucune famille pour la protéger... Depuis qu'elle avait rompu tout lien avec le Repère, elle avait vécu seule. Elle n'avait croisé que des gens de passage, séjourné au maximum un mois dans le même village. Et pour ne rien arranger, elle usait régulièrement de ses capacités de magicienne pour effacer sa trace. Aux yeux des habitants de la Terre, elle n'existait pas. Elle flirtait avec un tout autre monde, ce que Marius appelait sa folie, sa démence...

« Rends-nous service, très chère, transpose-nous devant le Repère, tu seras mignonne. »

La voix de Nioclás la fit brutalement sortir de son introspection et il lui fallut quelques secondes pour se ressaisir. La douleur et la fatigue commençaient à lui peser sur la conscience. Elle chassa donc ses pensées qui ne l'aideraient pas à avancer et se décida enfin. Elle saisit la main de son accompagnateur toujours très — trop — souriant, et dans un dernier effort, elle se téléporta.

* * *

À suivre...

CICATRICES - T1 - Le Parfum Du SangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant