Vide sac

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J'écris ça juste pour me vider la tête parce que je n'ai pas envie d'emmerder les autres avec mes problèmes. Lisez, ne lisez pas je m'en contrefous.

Pour la première fois de ma vie j'ai détesté les crêpes. D'habitude lorsqu'on en fait chez moi c'est un bon repas que l'on partage avec le sourire. Un des rares où mon frère rentre à la maison. Un des rares où mon père semble heureux et est content de nous faire plaisir. Je n'aurais jamais imaginé qu'un jour on soit juste assis comme trois cons à regarder des crêpes cuire pendant... je ne sais pas, une heure peut-être, avec une telle ambiance de merde.

Déjà j'ai senti que ça n'allait pas quand c'était à moitié préparé. Puis cette impression s'est renforcée en voyons l'expression que mon père affichait. Complètement mort. Trop de travail ? Fatigue ? Ou bien nous ? Puis aussi le fait qu'il ne mange pas. Il faisait juste les crêpes les unes après les autres, sans s'arrêter. Ses gestes ont commencé à se faire plus brusques, personne ne parlait. Le genre de situation où tu sens un malaise immense peser sur la pièce. Où tu te dis putain de merde comment on en est arrivé là. Où tu te dis que tu devrais peut-être dire quelque chose, mais peu importe, tout ce qui te vient à l'esprit c'est le néant. Tu ne sais pas quoi dire. Tu sais que ça ne va pas mais tu as l'impression que si tu poses la question ça ne va vraiment pas aller. Mais il y a un moment où il faut la poser parce que ça ne doit pas continuer ainsi, non, parce que ça devient insoutenable.

Alors tu prends ton courage à deux mains puis tu la poses, la question qui tue tout "qu'est-ce qui ne va pas ?"

Tu sens que la réponse risque d'être "tout". Tu espères que ce sera cette réponse mais que derrière ce "tout" ce sera juste le boulot, les petites merdes du quotidien. Au fond tu espères que tu seras capable d'encaisser la réponse. Tu penses que tu en es capable. Tu le crois. Mais croire ne veut pas dire pouvoir. Et quand la réponse c'est "je me sens invisible, j'ai l'impression de ne pas exister", ton cœur se serre. Tu te dis et merde, je le savais. Tu refuses de l'admettre en surface mais au fond de toi tu le sais. Tu le sais parce que tu sais ce que ça fait mais à ce moment-là t'en as rien à faire de ta souffrance personnelle. Non parce que voir ton père s'effondrer comme ça en face de toi, tu peux juste pas t'empêcher de te sentir coupable. Et plus il parle plus tu te dis que tu sais. Tu es d'accord avec lui, avec tout ce qu'il dit. Tu comprends parfaitement pourquoi il dit ça, tu comprends parce que tu supposais déjà qu'il se sentait comme ça. Parce qu'en fait tu le savais. Mais c'est pas ça, le pire. Le pire c'est que t'as beau savoir, t'as beau comprendre, t'as beau être d'accord, tu te sens impuissant. Alors oui, peut-être que tu devrais faire plus d'effort en communication. Mais si seulement c'était possible à ce stade. C'est là que tu regrettes d'avoir grandi en te renfermant sur toi-même. C'est la que tu regrettes d'être cette gentille personne toute calme qui ne dis jamais rien et se laisse juste porter par le courant. C'est là que tu regrettes ta personnalité. Parce que même si ta raison te dit que ce n'est pas de ta faute, tu ne peux pas t'empêcher de penser que si.

Et si je savais parler. Et si j'étais plus ouverte. Et si je n'avais pas des passions qui n'intéressent pas les autres. Et si j'avais les mêmes passions que les autres. Et si je savais communiquer. Et si je savais trouver des sujets de discussions. Et si je n'étais pas comme ça.

Ce serait mieux.

C'est tout ce que tu arrives à te dire. Mais voyons ma pauvre amie, plutôt que de formuler ces hypothèses, ne penses-tu pas qu'il serait mieux pour toi d'agir concrètement ? Sauf que tu as ce sentiment que tu n'y arriveras pas. Tu sais que c'est au-dessus de tes forces pour l'instant. Peut-être que personne ne sera en mesure de te comprendre, pourquoi dire bonjour aux gens que tu connais est dur, pourquoi tu ne sais pas poser de questions aux autres... 

Tu aimerais pouvoir être honnête et dire que tu aimerais passer du temps avec les autres. En réalité, tu veux sortir avec tes amis, tu veux passer du temps avec ta famille. Tu le veux mais lorsque tu y es confrontée tu te rends compte que tu aurais préféré rester dans ta chambre. Pourquoi ? Qu'est-ce qui est allé de travers ? Comme excuse tu diras que les autres ne font pas attention à toi. Mais en vérité tu sais très bien que c'est parce que tu n'oses pas t'imposer, parce que c'est toi-même qui t'efface. Tu t'effaces de la vie des autres et tu n'arrives juste pas à reprendre consistance. 

Alors quand on te dit tout ça, lorsque tu vois ton père comme ça, complètement seul et bousillé de l'intérieur, même si tu veux pouvoir être là pour lui, encore une fois tu n'y arrives pas. Tu sais qu'incessamment sous peu il risque de faire un gros burn-out. Tu sais qu'il est complètement a bout, que ton comportement et ta personnalité n'arrange pas la chose. Tu as même peur qu'il finisse par disparaître mais tu ne peux pas être ce dont il a besoin.

Malgré tout tu es fière de toi, parce que tu es tellement crevée à l'intérieure que tu n'arrives même pas à en vouloir à ton frère dont le comportement est pire qu'exécrable. Tu espère juste qu'il ne sera pas trop tard lorsqu'il se rendra compte de son attitude et des souffrances qu'elle cause. Peut-être parce que tu lis beaucoup, mais tu peux visualiser le scénario. Enfin, tu n'as pas envie de l'imaginer. L'image est flou, un peu tâchée de noir. Tant mieux.

Tu aimerais juste ne pas être née dans ce monde. Parce que c'est dur de voir ta famille tomber en morceaux. "C'est tellement ironique, je fabrique de la super-glu depuis plus de vingt ans, de toutes les sortes possibles et imaginables mais je n'ai jamais été capable d'en fabriquer une pour réparer un cœur brisé." Ce serait bien si c'était possible. Recoller les morceaux depuis le début. "Où est-ce que ça a foiré ? Qu'est-ce que j'ai raté ?" qu'il nous dit. Mais rien, ce n'est pas de ta faute. Ce n'est de la faute de personne mais pourtant c'est comme si c'était de la faute de tout le monde. 

C'est étrange (ou peut-être pas) mais c'est comme si toute motivation m'avait quittée (du moins le peu qu'il me restait). Comment est-ce que je vais finir l'année ? Est-ce que je vais la finir ? Qu'est-ce que je vais faire après ? Je n'ai juste plus envie d'y penser. Le bac ? Les vacances ? L'université ? Plus rien n'a d'importance. 

J'ai mal au crâne. 

Surdouance, mais pas trop non plusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant