Chapitre 1: Absence

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Un seul être vous manque et tout est dépeuplé. Quand j'étais petit, ma mère nous disait souvent cela lorsque notre père était en voyage à l'autre bout du monde. Mes sœurs venaient à peine de s'en aller que je comprenais enfin ce que Lamartine voulait dire. Gabrielle et Yue étaient parties je ne sais où, dans des endroits où je ne leur serais d'aucune utilité. De plus, je sentais que le lien particulier que j'avais avec ma jumelle s'était fragilisé à l'instant même où elle avait disparu. Je me sentais vide. Incomplet. Complètement désorienté. Un sentiment d'impuissance naquit en moi, telle une vague qui déferle sur les côtes. J'étais né garçon, et même si tante Elizabeth avait insisté pour me former, je demeurais inutile. Et cela, j'en étais persuadé depuis ma tendre enfance. Je soupirai, perdu dans mes pensées. Puis la voix de Dame Aelia, froide et sèche claqua, me ramenant à la réalité.

— Bien, maintenant que ces demoiselles sont parties, je vais être contrainte de vous demander de faire de même, vous aussi. Je dois aller mettre de l'ordre dans votre pagaille ! s'exclama-t-elle.

À mes côtés, je sentis ma mère se raidir. Nul besoin de lui poser la question, elle n'avait qu'une seule hâte, prendre congé de notre hôte à qui elle avait failli refaire le portrait. Malgré ma tristesse, un petit sourire discret s'esquissa sur mes lèvres. Il valait mieux pour Dame Aelia qu'elle redescende de ses tours, si elle ne souhaitait pas se retrouver une fois encore face à l'ire de ma mère. Cette dernière s'apprêtait à répliquer quelque chose, lorsque ma tante prit les devants. Elle s'inclina et répondit, toujours de sa voix neutre et sereine :

— Je comprends tout à fait, Aelia. Je te remercie pour ton hospitalité. J'espère que nous nous reverrons, et ce dans de meilleurs termes.

L'Atlante saisit Elizabeth dans ses bras et la serra contre elle, comme les vieilles amies qu'elles étaient. Ma mère commençait à s'impatienter. Alors que je ne m'y attendais pas, Félician s'approcha de moi et me serra la main, pour me saluer. À mi-voix, il déclara :

— Ne me demande pas pourquoi, mais je sens que nous sommes amenés à nous revoir. Je ne te dis donc pas adieu, mais à bientôt, Alex.

Je fus le seul à comprendre ses paroles, qui me laissèrent perplexe. Pourquoi reviendrais-je à Atlantis alors que je n'y avais pas ma place ?

Toujours troublé, je n'entendis à peine ma tante annoncer qu'il était temps de retourner chez nous. Ce fut la main de ma mère, se posant sur mon épaule qui me ramena sur la terre ferme.

— Alex ? Nous y allons, dit-elle sur un ton légèrement inquiet.

Je fis volte-face vers elle et lui adressai un sourire rassurant.

— Rentrons à la maison, déclarai-je.

Je fermai les yeux et le bracelet à mon poignet se mit à chauffer agréablement. Une douce étincelle verte filtra au travers de mes paupières. Lentement, le Retourneur de Temps faisait son travail, tandis que le Voyage s'amorçait.

****

15 mai 1767, hôtel particulier des Mc Laren, Lorient, France :

Alors que nous venions de quitter le hall d'entrée éclairé de Dame Aelia, je me retrouvai subitement dans la pénombre. Nous étions revenus à notre point de départ, la cave de notre maison. La seule source de lumière provenait des lampes à huile disposées sur les murs de pierres. Nous tombâmes nez à nez avec mon père, qui nous regardait avec un air ahuri, la main sur le cœur.

Mo dhia ! Je crois que jamais je ne m'habituerais à ce que vous disparaissiez et réapparaissiez comme ça ! Vous étiez là il y a encore une seconde, et vous revoilà déjà ! s'exclama-t-il, sonné.

Running Out of Time - Tome III [SOUS CONTRAT D'ÉDITION-ÉDITION ALTER REAL] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant