Il était une fois... une maman débordée

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« Bon sang de bonsoir de pétard de zut ! » jurais-je entre mes dents.

Où avais-je bien pu mettre ces clefs ? Je fouillais dans mon sac à main XXL ; qui ne sert absolument à rien si l'on n'est même pas fichu de trouver ses clefs ! ; et finis même par m'asseoir par terre et renverser son contenu sur le trottoir. Porte-monnaie, stylo, portable, carnet, cachets contre le mal de tête, stick à lèvres, serviettes hygiéniques... mais pas de clefs ! Et c'était très difficile de rentrer sans, car le porte-clé reliait les clés de la maison et de la voiture.

Je devais avoir l'air folle, à genoux sur ce trottoir, et les regards de quelques passants ne se gênaient pas pour me le faire remarquer. Je réfléchissais à toute allure. Où avais-je bien pu laisser ces fichues clefs ? Soudain, j'eus un éclair de lucidité : j'avais dû oublier de les ranger après avoir montré mon porte-clé à une collègue. Donc, normalement, elles étaient encore posées sur mon bureau.

Je fourrai précipitamment mes affaires dans mon sac à main et me dirigeai d'un pas rapide vers l'immeuble de l'entreprise pour laquelle je travaillais. Je passai la porte coulissante et m'engouffrai dans l'ascenseur. Il était tard et le bâtiment était donc assez vide. Cependant, avec ma chance phénoménale, je réussis quand même à tomber sur mon collègue Maxime. Pourquoi lui ?! Je n'avais rien contre Maxime, je m'entendais bien avec lui, il était très gentil, serviable, et tout ce genre de qualités. Mais en ce moment, il était très difficile à supporter. En fait, sa femme et lui avaient divorcé il y a quelques mois après qu'il ait découvert qu'elle le trompait. Et depuis, mon collègue était d'humeur très changeante, et principalement déprimée.

C'est donc après un quart d'heure à l'avoir regardé pleurer, lui avoir caressé le dos en le consolant du mieux que je pouvais et l'avoir écouté me raconter pour la quatrième fois aujourd'hui et la seizième fois de la semaine comment il se sentait mal, trahi, et humilié, que je pus enfin rentrer chez moi. Avec mes clefs, cette fois-ci.

À peine passé la porte d'entrée que ma fille m'agressa littéralement.

« Maman !!! Qu'est-ce que tu faisais si tard ? Mon cours de danse moderne commence dans trois minutes ! Et on a pas encore mangé ! Et puis pourquoi tu ne réponds pas au téléphone ??! »

Zut ! C'est vrai que j'avais totalement oublié ça. J'arrêtai ma fille dans sa tirade de reproches et lui dis de mettre ses chaussures. Moi qui ne m'étais même pas déshabillée, je fis demi-tour vers la voiture. Dans le véhicule, Laurine recommença à râler et je lui expliquai le plus patiemment possible mon retard. Mais bon, c'était sans compter sur le peu de compassion qu'avait ma fille...
J'eus le droit à un :

« Pff, si c'est déjà Alzheimer qui commence, on est pas rendus ! »

Et puis à un :

« Mais 'faut qu'il arrête de te prendre pour sa psy, lui ! »

Bref, je l'avais déjà réprimandée des dizaines de fois et ça n'avait servi à rien, alors je ne répondis pas à ses piques et la déposai à son cours de danse.

J'étais trop fatiguée pour me battre et d'ailleurs, lorsque je fus de retour à la maison, je m'affalai sur le canapé et y restai quelques minutes, le temps de me rappeler qu'il fallait que je fasse à manger et que ma conscience me rattrape. Pas facile tous les jours d'être mère célibataire...

C'est donc les jambes lourdes et avec un mal de crâne désagréable que je me rendis dans la cuisine pour improviser un truc à mettre sous la dent de mes gloutons d'enfants. Oui, parce que j'en avais deux, des enfants. Autant Laurine était omniprésente dans la maison, autant son frère était devenu un vrai fantôme. Un jour, il avait découvert les jeux vidéo et depuis... il était porté disparu dans la jungle qu'était sa chambre. On le voyait à peine deux fois par jour, pour le petit déjeuner et le dîner, voire trois fois pendant les jours de chance. Mais comme l'indique leur nom, ces jours-ci étaient très rares.

Alors que j'étais en train de remuer le riz cantonais dans ma poêle, mon téléphone portable émit un signal sonore. C'était Laurine qui m'avait envoyé un message pour me prévenir que je n'avais pas besoin de la chercher car elle allait manger au fast-food avec ses amis. J'allais donc dîner en tête à tête avec mon fils. Je ne savais pas vraiment si cette perspective me ravissait ou non... d'un côté, le repas serait calme, et c'était ce qu'il me fallait après cette journée mouvementée ; mais d'un autre côté, Damien et moi vivions dans deux mondes tellement différents que je ne trouvais plus vraiment de sujets de conversation avec lui, ce qui m'attristait un peu...

Lorsque la table fut mise, je montai à l'étage pour chercher mon fils. Je toquai et entrai quelques secondes après. Damien était sur son lit avec son ordinateur et son casque sur les oreilles. Quand il me vit entrer, il retira son casque et me demanda ce qu'il y avait. Je lui expliquai rapidement qu'on mangerait en tête à tête ce soir et le pris par la main pour le faire descendre. Il me suivit de plus ou moins bonne grâce et en descendant les escaliers, je vis qu'à 15 ans, mon fils me dépassait déjà d'une bonne tête. C'est désespérant, comment ça pousse vite, ces choses-là !

À table, le silence régnait. Un silence agréable, mais assez malaisant pour qu'on ait envie de le rompre.

« Alors Damien, tu n'as rien à me raconter ?

- Pas vraiment...

- Ah bon ? Qu'est-ce que vous avez fait au collège, aujourd'hui ?

- Pas grand-chose d'intéressant... On se prépare pour le brevet...

- Ah oui, au fait, c'est quand ce brevet, de nouveau ?

- Mi-juin, à peu près.

- D'accord... et... Tu te sens prêt ? Parce que, du coup, c'est dans deux mois environ.

- Oui, ça va... à part peut-être en français, où j'ai un peu de mal avec l'analyse de textes...

- Oh, vraiment ? J'étais plutôt bonne pour ce genre de choses à l'époque, si tu veux, je pourrai t'expliquer !

- Ouais, ça serait peut-être cool... »

Je hochai la tête au rythme de ma mastication, ne sachant plus vraiment quoi dire. Je remarquai bien que mon fils me répondait machinalement, n'étant avec moi que physiquement.
C'est donc en silence que se termina notre repas.

Il était une fois une mamanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant