Il était une fois... l'horrible belle-mère ou la pauvre Cendrillon ?

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Le lendemain midi, j'invitai Maxime au restaurant, enfin c'était un bien grand mot pour désigner la pizzeria du coin de la rue. Mon collègue me semblait plus pâle et déprimé encore que d'habitude. Inquiète, je n'avais pu m'empêcher de vouloir le réconforter d'une manière ou d'une autre. Il me faisait pitié et puis il était gentil, il ne méritait pas ce qui lui était arrivé.

Une fois dans la queue pour commander notre pizza, Maxime s'accrocha soudainement à mon bras. Je vis qu'il était livide et je l'emmenai s'asseoir sur un banc en dehors de la pizzeria. Il me dit qu'il s'était soudain senti trop à l'étroit dans cette pièce et qu'il avait eu un coup de chaud. Je le laissai donc sur le banc et allai toute seule commander les pizzas, que finalement nous mangerions dans le parc pas très loin.

Une fois installés sur un banc sous un arbre avec notre casse-croûte, nous mangeâmes en silence. Alors que je jetais un coup d'œil à mon collègue, je vis qu'il n'avait pas touché à sa pizza et que les larmes coulaient, silencieuses mais abondantes, sur ses joues. Je posais ma pizza à côté de moi et, plus alarmée que jamais, demandai à Maxime ce qui s'était passé. Sans que je puisse m'y préparer, il me tomba littéralement dans les bras et se mit à pleurer comme une madeleine. Si je m'attendais à ça ! Surprise et gênée, je caressais doucement son dos en attendant qu'il se calme. Je crois que je n'avais jamais vu un homme autant pleurer... Mon collègue n'était habituellement pas plus sensible qu'un autre, et même si cette séparation avait semé le chaos dans ses émotions, il devait s'être passé quelque chose d'assez grave pour le mettre dans un tel état.

Une fois calmé, il se détacha de moi en s'excusant entre deux reniflements alors que je lui tendais un mouchoir. Après s'être mouché et essuyé les yeux, il commença :

« Hier soir, j'ai eu envie d'aller voir sur son profil Facebook. Je savais bien que ça allait me faire du mal, mais je n'ai pas pu m'en empêcher. Et j'ai... j'ai découvert... qu'elle est enceinte ! »

Sa voix se brisa sur ce dernier mot. J'étais tétanisée. J'avais bien compris qu'il parlait de son ex-femme. Elle était déjà enceinte de son nouveau compagnon ?! Ça me donnait envie de vomir, pauvre Maxime ! Alors que je traitais cette femme de tous les noms en pensée, je demandai :

« Tu es sûr ?!

- Oui, elle annonçait sur son profil qu'elle est enceinte de deux mois. Putain, enceinte de deux mois ! Alors qu'en quatre ans de mariage, elle n'a jamais voulu me faire d'enfant ! »

Je sentais sa colère bouillonner et je ne savais pas trop quoi faire pour le soulager, cette fois. Je pourrais lui dire que c'était mieux qu'ils n'aient jamais eu d'enfants, car sinon le divorce aurait été encore plus compliqué, mais je doute que ça ne le réconforte... Alors je lui souris simplement et lui soupirai :

« Je suis vraiment, sincèrement désolée pour toi, Maxime...

- Je sais. Et pourtant, tu n'as pas vraiment de raison d'être désolée, tu n'y es pour rien dans cette histoire. Je me demande toujours où tu trouves la patience et la force de m'écouter me plaindre trois fois par jour. Vraiment, je te suis reconnaissant !

- Tu sais, je crois que j'aurais bien aimé que quelqu'un m'écoute me plaindre quand David m'a abandonnée il y a 14 ans... »

Je savais pas vraiment pourquoi j'avais dit ça, mais cela jeta un blanc dans la conversation. Alors, nous recommençâmes à manger en silence, mais au moins, mon collègue avait l'air plus léger, quoique encore triste.

***

Je marchai rapidement dans le couloir de l'entreprise jusqu'à la salle de réunion. Le chef avait fait appel à nous pour un rassemblement imprévu. Ce qui m'avait clairement agacée, car cela me ferait rentrer tard, ce qui voulait dire que je n'aurais pas le temps de préparer le repas. Voilà comment chambouler le programme d'une mère célibataire en trois secondes chrono, on adore ! De ce fait, j'essayais de joindre Laurine par téléphone depuis deux minutes pour la prévenir. Quand elle répondit enfin au téléphone, je lui expliquai la situation et ce qu'il fallait qu'elle prépare pour le dîner. Pour une fois que je savais quoi faire à manger, je n'étais pas à la maison !

Après une réunion plus qu'ennuyeuse à s'entendre répéter qu'il faut qu'on soit plus efficaces, je rentrai enfin chez moi, les jambes lourdes et le cerveau en compote, un peu comme tous les soirs, en fait. Lorsque j'arrivai, je vis mon assiette prête, posée à ma place sur la table de la cuisine. Cela me fit sourire et je fus soulagée de me dire que ma fille avait suivi mes instructions et que les deux enfants avaient mangé. J'allai un peu plus loin vers le plan de travail mais la vaisselle n'était pas faite. Il ne fallait pas trop en demander non plus ! Je n'eus plus qu'à mettre les pieds sous la table, et j'avoue que c'était agréable.

Alors que j'étais en train de finir mon assiette, ma fille déboula des escaliers et vint me voir. Elle s'exclama :

« Salut maman !

- Salut ma princesse, merci pour le repas, c'était très bon !

- De rien. Dis, maman, est-ce que je peux sortir avec Valentin ?

- Valentin ?

- Mon copain !

- Ah, oui, lui... Quand ?

- Bah, maintenant ?

- Maintenant ! Mais il est déjà huit heures et demi et il y a école demain !

- Ça va, je rentrerais avant minuit !

- De une, tu aurais plutôt intérêt, et de deux, ça ne sera pas nécessaire parce que c'est non.

- Hein ?! Allez, s'te plaît maman !

- Non, c'est non.

- Déjà que j'ai pris la peine de te demander alors que j'aurais très bien pu partir comme ça ! T'es franchement pas sympa !

- Non mais je hallucine ! Comment t'es venue l'idée que tu as le droit de sortir le soir à ta guise ?! Tu t'octroies bien des libertés, dis-moi ! Et ce n'est pas question de sympa ou pas, ma réponse est non, point.

- Espèce de sorcière ! On dirait la belle-mère de Cendrillon, quoi ! Moi, je te rends service, je fais le boulot à ta place, et voilà le remerciement ! »

J'en restai coite. C'était clairement l'hôpital qui se foutait de la charité.
Que les enfants sont ingrats ! C'était qui, qui travaillait huit heures par jour sans compter les heures sup' et qui se tapait encore la cuisine, la vaisselle, le ménage, la lessive, la paperasse, les peines de cœur, les disputes fraternelles, et maintenant les reproches injustes ? Il y avait un moment où il fallait s'arrêter de me prendre pour une idiote ! C'était plutôt moi, la pauvre Cendrillon !

J'aurais bien voulu lui répliquer tout ça, mais, épuisée et lasse, je soupirai simplement et lui répétai une dernière fois que c'était non et qu'elle n'avait de toute façon rien à dire. Elle remonta dans sa chambre en me traitant de tous les noms et je me levai pour faire la vaisselle mécaniquement, comme vidée de mon énergie.

Il était une fois une mamanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant