Dans ses rêves

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Il était deux heures du matin et la température était brusquement tombée à deux degrés en cette nuit de novembre, mais il était toujours là, et il n'avait pas l'intention de bouger. Cela faisait bientôt quatre heures que ce garçon était assis sur ce banc, qu'il connaissait maintenant plutôt bien, et il ne voyait aucune raison qui le pousserait à regagner sa maison ce soir, puisque de toute façon il savait pertinemment que personne ne l'attendait chez lui, pour s'inquiéter de son absence et le sermonner de rentrer si tard. Non vraiment, il n'avait aucune envie de regagner son chez-lui dans lequel il ne se sentait même pas à l'aise, même si ses mains rougies par le froid étaient secouées de tremblements incontrôlables et que le vent le faisait grelotter sous son pull de laine grossière, qui était d'ailleurs beaucoup trop grand pour lui.

Comme à son habitude, les pensées du jeune homme étaient ailleurs. Ses grands yeux bruns fixaient un point invisible à l'horizon, ses longs cils noirs battaient l'air, et peu lui importait d'être gelé de la tête aux pieds, puisque qu'il ne sentait plus son corps. Il était mentalement ailleurs. Sa tête perchée dans les étoiles, son esprit étant parti vagabonder, il espérait trouver un peu de réconfort dans une demi-conscience rêveuse. Ses cheveux en bataille tombaient sur son front, mais il ne cherchait même pas à les repousser de la main. Il était immobile, silencieux, et seule sa respiration venait troubler le calme plat que la nuit avait apporté. Des volutes de fumée s'échappaient de sa bouche légèrement entrouverte.

Une nuit de plus, ce garçon était perdu dans ses pensées, tentant de se persuader qu'en fermant les yeux et qu'en y croyant de toutes ses forces, sa solitude pouvait s'envoler. Le brouillard s'était levé et emmêlait sa réflexion. Il bailla. Ses paupières devenaient lourdes de sommeil, mais il ne voulait pas dormir. Il n'avait pas besoin de sommeil. Tout ce qu'il voulait, c'était rêver, laisser son imagination s'emporter et exaucer ses souhaits les plus chers le temps d'un instant. Alors il se laissa entraîner dans son mirage, et c'est à cet instant précis, qu'il put enfin l'apercevoir.

Au début, il ne parvint à distinguer d'elle que sa délicate silhouette qui s'avançait doucement vers lui, puis il réussit à voir les courbes de son corps qu'il avait tellement de fois retracées du bout des doigts dans le ciel, puis son visage encadré de cascades de boucles brunes sur lequel était dessiné un sourire ensorceleur, ce même sourire qui le hantait, et enfin ses yeux clairs qui le regardaient tendrement. Elle était tellement belle qu'il se retrouva dans l'incapacité totale de faire le moindre geste, et mêmes le flux de ses pensées s'interrompit, émerveillée par cette beauté qui venait transcender la nuit. Le souffle coupé, il se contenta de la dévisager longuement.

Doucement, elle lui tendit la main, et il réussit à l'attraper, maladroitement, tremblant de tous ses membres. Son cœur battait vite, sa tête lui tournait et il avait la sensation de ne plus avoir les pieds sur terre, mais ce sentiment lui plaisait. Bouche-bée, il se laissa perdre dans l'immensité du regard océan de la demoiselle qu'il tenait à présent tout contre lui. Le temps semblait s'être brusquement figé, peut-être à cause du froid hivernal qui régnait cette nuit-là. Mais malgré le vent glacial qui soufflait sur la ville, les deux individus n'avaient pas froid. En réalité, le jeune homme avait même la sensation qu'ils étaient enveloppés d'un halo de tiédeur réconfortante.

Il n'osait rien dire, de peur qu'elle s'éloigne et le laisse soudain seul, craignant que la moindre de ses paroles la fasse disparaître à nouveau, et pour toujours. Sa vue devenait trouble, des frissons parcouraient son corps tout entier : il avait peur. Il était apeuré et il ne savait que faire, à part esquisser un faible sourire un peu niais. Et puis étrangement, brusquement, dans un élan d'espoir, ses lèvres prirent possession de celles de la jeune fille. L'horloge du temps redémarra brutalement, tandis que leurs deux cœurs reliés par un simple baiser ne formaient plus qu'un. Le jeune homme ferma les yeux, et goûta enfin au bonheur.

Mais lorsque, après un moment qui semblait être l'éternité il entrouvrit les paupières, il fut saisi d'effroi. Sa belle n'était plus là, tout avait disparu. Il ne restait plus que lui, assis sur son lit trop grand pour une seule personne, des gouttes de sueur perlant sur son front, tentant de se rappeler comment il était arrivé là, et où sa belle s'était perdue. Il baissa les yeux et aperçut alors les bouteilles de whisky vides au pied de son lit.

Le jeune homme poussa un long soupir rempli de désespoir et comprit qu'il s'était une fois de plus enfui de la réalité pour sombrer dans ces rêves qui le détruisaient un peu plus chaque fois qu'il s'en extirpait, car il se rendait compte chaque matin que ses rêves étaient sa réalité, à lui, et qu'il ne pouvait jamais les rejoindre réellement.


De maux à motsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant