2

229 15 20
                                    

Il faut dire que j'ai acquis un certain niveau en français grâce aux cours de Madame Lefebvre, une jeune institutrice française venue en Allemagne pour rejoindre son mari. Je pourrais facilement l'apprécier et la trouver agréable si elle ne se vouait pas corps et âme au régime allemand.

Elle a tout de même le mérite de me faire apprécier cette langue et je fais tout pour obtenir des bonnes notes aux évaluations et améliorer mon niveau un peu plus chaque jour, au grand désespoir de mes parents et des professeurs qui, eux, souhaiteraient un investissement pareil en cours d'allemand.  

J'ai d'ailleurs récemment lu en français, avec quelques difficultés de compréhension tout de même Candide, un livre écrit par un philosophe français du XVIIIème siècle, un certain Voltaire.  

J'ai trouvé l'oeuvre particulièrement intéressante de part la réflexion philosophique dont elle fait preuve et les péripéties des protagonistes qui m'ont emporté dans ce monde imaginaire. Sa vision à la fois pessimiste, à travers Martin, et optimiste, à travers Pangloss, du monde m'a beaucoup fait réfléchir et je n'ai pu m'empêcher de penser aux conséquences si une guerre venait à éclater dans les prochaines semaines ou mois à venir, car il est vrai que la situation est très tendue entre l'Allemagne et la quasi totalité du reste du monde.  

Je redoute extrêmement la déclaration d'une guerre prochaine, on ne voit que cela sur les journeaux. Les journalistes ont l'air excité à cette idée alors que le peuple est effrayé. Même certains partisans nazis, mes parents y compris, ont peur.  

Malgré la signature des accords de Munich en septembre dernier, je doute qu'Hitler tiendra sa parole mais les européens semblent rassurés par la signature de ces accords.

L'humiliation du Traité de Versailles a toujours un goût amer pour Hitler et sûrement tous les Allemands, cela explique sûrement la haine ressentie mais une guerre contre le monde pourrait être fatale pour mon pays.  

L'armée allemande est redoutable mais qu'en est-il de l'armée française, anglaise ou encore américaine ?  

Nous n'avons aucune idée de l'envergure de ces armées. Les soldats allemands ont beau être très entraînés, face à des armées qui ont déjà battues l'Allemagne j'appréhende énormément.

Même en Allemagne la situation n'est que désastreuse. Depuis l'élection d'Hitler et du parti nazi qu pouvoir, les lois antisémites ne cessent de croître et les Juifs allemands voient disparaître leurs droits et leurs biens un peu plus chaque jours.  

Les commerçants juifs n'ont plus de boutiques, la plupart ont été pillées quelques temps après l'élection d'Hitler. Il faut dire que même si ces magasins étaient encore debout, peu d'allemands auraient osé y faire leurs courses ou même juste entrer, sous peine de sanctions par les soldats de la Wermacht patrouillant dans les rues.

Ces pauvres personnes ont été insultées, violentées, virées de chez elles et j'en passe ! Bon sang mais quand est-ce que cela va réellement s'arrêté ?  

L'arrivée de mes camarades dans le dortoir me sort immédiatement de mes pensées et je les entends discuter de la venue surprise de l'officier Mantler.

Elles ont discuté toute la soirée à ce sujet sans se préocupper une seconde de ma présence dans la pièce et je leur en remercie, je n'avais aucune envie d'être dérangée par quelques unes de ces filles on ne peut plus superficielles. J'ai donc passé tout ce temps à réviser mes leçons, du Français en passant par de l'Allemand ou encore des mathématiques.

À une heure tardive, je décide de poser livres et bouquins d'exercices pour dormir. Tout le monde semble dormir et je n'aimerais pas me réveiller en retard demain, je n'ai aucunement envie d'être punie. J'éteins ma lampe de chevet et m'allonge sur le petit lit qui m'a été attribué et sombre doucement dans un profond sommeil.  

Je suis réveillée par l'horrible sifflet de la surveillante des dortoirs, ce qui a le don de me mettre de mauvaise humeur dès la première heure. Cela ne donne pas vraiment envie de se lever et je n'ai qu'une envie ; m'engouffrer dans les couvertures pour ne plus jamais ressortir. Je hais cet endroit. Je hais ces personnes qui m'entourent et je hais mes parents qui m'ont forcée d'intégrer la BDM.

Je me lève difficilement, il est vrai qu'en regardant l'heure je remarque qu'il n'est que cinq heures du matin et que j'en ai à peine dormi trois.  

Je vois Lize parfaitement apprêtée et déjà vêtue de son uniforme blanc neuf, parfaitement repassé et, bien évidemment, sans aucune traces.

- Bien dormi ?

- Oh ! J'ai peu dormi mais je pense que oui.

J'essaie tant bien que mal de lui afficher un sourire sincère mais elle n'est pas dupe et semble immédiatement remarquer ma mauvaise humeur et ma fatigue.  

Je devrais donc revoir mes talents de comédienne...

J'ai le mauvais pressentiment que la journée risque d'être longue. Très longue..

On se dirige toutes vers les douches et, à la traîne, comme toujours me direz-vous, j'essaye de suivre la foule de filles.  

Pendant le petit-déjeuner, on nous explique le programme de la journée trois heures de classe, principalement la lecture de récits de certains « héros » nazis ainsi qu'une, très explicite et peu subtile, propagande du régime allemand soi-disant parfait puis une après-midi sportive après un léger repas pour ne pas nous gaver et donc éviter les vomissements.

Les entraînements sportifs sont obligatoires et assez intensifs, je dois dire, tout comme les cours du matin, tout aussi intensif, à leur manière.

Je redoute cette journée plus que tout. Elle est similaire à toutes les autres que je passe à la BDM depuis maintenant plus d'un mois et je doute de pouvoir supporter cette situation encore longtemps. 

En prenant le petit-déjeuner, je me surprends à penser à une fuite puis je me ravise rapidement. Il est inutile de tenter quoi que ce soit à quelques mois de ma liberté promise. Qui plus est cette idée est totalement suicidaire et je n'ai pas le cran ni la force d'affronter, seule, ces robustes gardes.  

Mais... Où vais-je bien pouvoir allez une fois cette horrible expérience passée ?

Il est hors de question que je retourne dans cette demeure qu'est celle de mes parents et je refuse de cautionner chaque jour de ma vie une telle façon de penser. Comment peut-on en venir à vouloir exterminer tout un peuple sous prétexte de religion et sur une idéologie basée sur des horribles préjugés ? C'est indécent...

Je pensais donc à un pays tel que la Belgique ou encore la France, c'est des pays tout à fait jolis et surtout libres. Vivre dans l'un de ces pays ne serait pas pour me déplaire.  

Je parle le Français presque couramment et je pense pouvoir m'intégrer assez facilement aux coutumes françaises ou belges, du moins j'espère.

Je laisse ces idées de côté quand j'entends la cloche qui annonce le début des classes.

Ces trois heures de classes m'ont ennuyée et fatiguée à un point inimaginable et je n'ose imaginer l'après-midi qui m'attend.

Ils nous ont expliqués, pour ce qui est de la millième fois, le fonctionnement de l'armée allemande aussi bien la Wermacht que la Schutzstaffel puis le fonctionnement d'un couple. En outre, notre rôle dans un ménage allemand irréprochable, notre obéissance promise à notre futur époux et comme  à mon habitude, je suis révoltée, je ne peux m'empêcher de trouver cela on ne peut plus répugnant. Comment peut-on rabaisser la femme à un tel état d'objet ? Et pire encore, comment peut-on être heureuse de souhaiter cela ?

Le Dernier Convoi [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant