Chapitre cinq.

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Harry aurait aimé courir, parcourir les rues puis les couloirs de l'hôpital avec fougue, hurler le nom de Maeve et devoir se faire pardonner pour son retard en se mettant à genoux. Il s'était toujours dit qu'il serait ce genre d'hommes – il voulait être ce genre d'hommes. Mais il avait dû prendre trois métros différents pour rejoindre le nord de Londres avant d'enchaîner un trajet dans un bus bondé pendant quarante minutes et lorsqu'il était arrivé à l'hôpital, il n'avait pas eu le courage de chercher Maeve à travers l'enceinte. Il avait avancé d'un pas lourd jusqu'au secrétariat et avait demandé le numéro de chambre de sa supposée amante. Troisième étage, quatrième unité, pavillon neurologique. Et c'est avec cette même lenteur qu'il était entré dans l'ascenseur. Les questions se bousculaient dans sa tête et il ne trouvait aucune réponse satisfaisante. Maeve se souvenait-elle de lui ? De tous ses mensonges ? Avait-elle retrouvé la mémoire ? Et si c'était le cas, comment se sentait-elle ? Trahie ? Manipulée ? Abusée ? Il ne voulait pas qu'elle ait une mauvaise image de lui. Il voulait qu'elle le regarde avec le même intérêt que la veille, avec ce même mélange d'admiration et de désespoir. Il avait envie d'être celui qu'on attendait sur le quai, lassé d'être celui qu'on abandonnait lorsque le train partait. Il voulait qu'on l'attende quelque part. Et Maeve, elle, elle l'attendait.

Elle avait peu dormi cette nuit-là. La blonde avait bien cherché à ce qu'on lui donne un médicament pour trouver plus facilement le sommeil mais cela lui avait été refusé. Elle était en observation, autrement dit, ici pour voir comment réagissait son cerveau. Et son cerveau, il était en train de bouillir. Elle n'avait fait que ressasser le passé, chercher à rassembler les pièces du puzzle qui se présentait à elle mais les pièces étaient dans le désordre et elle ne possédait pas le dessin de base. Elle n'avait rien et elle construisait un château de sable à proximité de l'eau. Bientôt, l'écume chatouillerait les fondations du château et il serait noyé. Tout comme elle. Alors, elle avait cessé de réfléchir et n'avait fait que penser à Harry. A ses cheveux bouclés qui avaient cet air négligé qu'elle aimait tant. Maeve était persuadée que si elle était tombée amoureuse de lui par le passé, c'étaient à cause d'eux. Ou de ses yeux verts qui lui semblait gris lorsqu'il la surplombait de son mètre quatre-vingt-cinq. Ou son sourire qu'il faisait parfois. Elle ne savait pas si c'était habituel chez lui mais elle aimait le voir embarrassé, apercevoir un semblant de sourire avant qu'il ne baisse la tête et fixe le sol. Ses doigts avaient aussi quelque chose de particulier. Ils étaient grands et fins et à voir la façon dont il les tordait nerveusement, elle devinait que c'était un artiste. Elle l'imaginait derrière un piano  à enchaîner les morceaux sous son regard pétillant et toujours désireux d'en avoir d'autres. Maeve était persuadée qu'il jouait et qu'elle, elle aimait l'entendre. Tout comme elle était persuadée que sa voix était un don du Ciel, un cadeau des anges. Elle était rauque et à chaque fois qu'il s'adressait à elle, il le faisait avec lenteur. Il détachait chacun de ses mots, comme pour leur donner un sens plus profond encore.

- Hey...

Assise en tailleur sur son lit, Maeve tourna la tête vers la porte et esquissa un sourire poli en voyant Harry à côté d'elle. Elle ne l'avait pas entendu entrer et en jetant un coup d'œil à l'horloge qui lui faisait face, elle remarqua son retard. Seize heures douze. Il devait certainement être au travail, retenu par ses parents ou encore était-il tombé en panne sur la route. Il avait forcément une bonne excuse mais durant tout ce temps, elle n'avait pensé qu'à une chose : Il l'avait abandonné.

- Je ne pensais pas que tu viendrais.

Le bouclé soupira et approcha une chaise de son lit. Il retira sa veste et posa ses mains à plat sur ses cuisses. Un nouveau signe d'angoisse que Maeve ne savait comment interpréter. Etait-il embêter de lui avoir causé de l'inquiétude ? S'en voulait-il pour son comportement ? Regrettait-il d'être finalement venu ici ?

- J'ai hésité à venir, finit-il par avouer dans un soupir. Je... Il passa nerveusement une main dans ses cheveux et releva la tête vers elle : J'ai flippé et je me suis demandé si j'avais ma place ici.

- Parce que je ne me souviens plus ? Il approuva d'un signe de tête. Oh... Je ne sais pas quoi dire, je... J'ai encore vu la psy et elle m'a dit que ça prendra du temps. Tu devrais peut-être lui parler, toi aussi. Se souvenir, c'est pire que de ne rien garder en mémoire.

Et qu'était-il censé dire à la psychologue ? Qu'il se sentait dépasser par la situation et qu'il ne savait pas comment continuer de mentir à Maeve alors qu'elle respirait la sincérité ? Qu'il appréhendait le retour chez eux justement parce qu'ils n'en avaient jamais eu ? Parce qu'il vivait seul depuis trois ans dans un appartement bien trop grand pour lui et qu'il ne savait pas comment il pourrait justifier l'absence de photos et toute trace de vie commune ? Ca aussi, ça l'angoissait. L'arrivée de Maeve chez lui. C'était son chez-lui, un endroit où il n'avait pas besoin de mentir, juste d'être lui-même et il devrait jouer un rôle pour ne pas qu'elle se rende compte de son mensonge – ses mensonges. Et il allait bientôt être obligé de lui inventer une personnalité, une histoire, des anecdotes et il se détestait de devoir créer la personne de ses rêves.

- A quoi tu penses ? Lui demanda-t-elle en touchant son avant-bras. Furtivement. Ce contact fût si bref qu'il se demanda s'il avait existé en dehors de son esprit.

- A toi.

- Et qu'est-ce que je fais dans tes pensées ?

Harry releva la tête, interloqué, et éclata de rire en voyant le sourire malicieux de Maeve.

- Rien de tout ça, ne t'en fais pas, dit-il encore hilare.

- J'aimerais tellement être dans ta tête, admit la jolie blonde dans un murmure.

Ripping out the pages.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant