Chapitre trois.

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- Mmh... J'arrive pas à fermer la blouse.

Harry hocha machinalement la tête et se déplaça. Il parcourut les quelques mètres qui le tenait éloigné de Maeve et grimpa sur son lit pour avoir accès aux deux cordes qu'elle maintenait. Il s'en empara et regarda longuement son dos, l'arbre qu'elle s'était fait tatoué au niveau de l'omoplate et surtout, ses courbes qui n'avaient pas changé. Il songea à les caresser. Il aurait pu mettre ce geste sur l'habitude mais les émotions qui le traversèrent, elles, elles seraient bien nouvelles. Harry se contenta de faire un nœud et replaça les deux pans de la chemise correctement, pour recouvrir le corps de celle qu'il aimait. Maeve lui gratifia un sourire en guise de remerciement et abattit un drap sur elle. Harry se redressa et retrouva sa place initiale, à l'autre bout de la pièce, près de la fenêtre. Il regarda la vue que lui offrait l'hôpital et grimaça en voyant le ciel toujours plus obscur. Bientôt, il devrait rentrer chez lui et il ne savait pas comment il y parviendrait. En somme, la maison de sa mère n'était pas loin de St Jude mais il ne voulait pas devoir donner d'explications. Anne ne comprendrait pas son geste et elle lui demanderait des réponses – chose qu'il ne se sentait pas en état de faire. Surtout pas maintenant. Mais sa voiture se trouvait sur le parking bordant la résidence... Et l'ensemble de ses papiers se trouvaient dans le vide-poche. Il n'avait qu'une poignée de Livres dans ses poches et la clé de son duplex. Aucun chauffeur de taxi n'accepterait de traverser la moitié de la ville pour récolter les... Combien avait-il exactement ? Harry fouilla dans sa poche et en ressortit un billet ainsi que des pièces. Dix-huit Livres. Il n'atteindrait pas le compté voisin avec une telle somme et il n'avait pas le cœur à marcher. Il était lessivé, comme vidé de tout courage et de toute force. Et maintenant qu'il voyait Maeve être aussi silencieuse que lui, il se rendait compte de l'importance de son mensonge.

- Je... J'ai une assurance, non ?

Harry releva la tête et fronça les sourcils. Maeve désigna l'argent qu'il gardait dans sa main droite et qu'il fixait tristement jusqu'à présent. Il s'éclaircit la gorge, rangea sa monnaie dans la poche de sa veste et esquissa un sourire qui se voulait rassurant.

- Oui, ne t'en fais pas. Ta mère est du genre pragmatique, sourit-il encore comme pour appuyer ses propos. Tu as même une assurance vie.
- A vingt-deux ans ? S'étonna-t-elle.
- Très pragmatique.

Et plus il souriait, plus elle semblait triste. Harry était gentil. Vraiment gentil. Il était le genre d'hommes dont les femmes tombaient amoureuses avec ses boucles châtaines, le vert de ses yeux qui viraient au gris selon la luminosité et ce sourire presque gêné qui lui donnait surtout un air charmeur. Il était la définition même de l'homme idéal et il appartenait à Maeve. Seulement, elle ne s'en souvenait pas. Il était là, devant elle, à essayer de se montrer clément, à accepter cette situation compliquée, et elle ne savait pas ce qu'elle avait fait pour mériter un homme tel que lui. Pour le mériter lui. Et même si elle aimait l'avoir près d'elle, Maeve ne pouvait empêcher ses yeux de s'imbiber de larmes.

- Oh, Maeve...

Immédiatement, il vint se placer à son chevet. Il rapprocha le siège sur lequel il se trouvait et posa sa main sur son lit. Il voulut enlacer ses doigts aux siens mais la raison l'en empêcha. Il restait un inconnu pour elle alors, il se comportait comme tel. Il restait à sa portée. Il faisait le premier pas et il attendait de voir si elle ferait le deuxième – il priait pour qu'elle le fasse.

- Je me sens tellement pitoyable mais je...

Elle ne put finir sa phrase car déjà, elle explosait en sanglots. Et il avait beau ne rien connaître d'elle, Harry ne put maintenir sa réserve. Il glissa sa main jusqu'à celle de Maeve et effleura à peine ses doigts mais ce contact, aussi infime fût-il, interpella la jeune femme. Ses larmes se firent moins nombreuses et elle posa un regard sur lui. Il ne le remarqua pas, ses yeux toujours posés sur les fins doigts de Maeve. C'était la première fois qu'il la touchait et il sentit un vol de papillons au creux de son estomac.

- Ca va mieux ? Demanda-t-il dans un murmure.

Elle approuva d'un signe de tête mais il ne bougea pas. Il resta à sa droite, à regarder le cathéter qui avait été posé sur le dos de sa main qui avait été égratigné au cours de l'accident. Son corps étaient recouverts de bleus et de plaies superficielles et Harry aurait aimé baiser chacun d'entre eux jusqu'à ce qu'ils disparaissent et qu'il ne reste que la pureté de sa peau laiteuse.

- J'ai vu la psy avant que tu arrives, le renseigna Maeve en baissant la tête sur les doigts de Harry qui n'osaient pas entrer en collision avec les siens désespérément froids. Glacials. En manque d'un amour qui lui échappait, tout comme sa mémoire.
- Je sais, le médecin m'a prévenu. Il serait préférable que tu la voies encore un moment. Tu sais, le temps que tu retrouves la mémoire ou en tout cas, le temps que tu t'habitues à... Tout ça.
- Elle m'a dit qu'on vivait ensemble et qu'on se connaissait depuis longtemps. Et ça me fait peur.
- Je te fais peur ?

Cette fois-ci, Maeve plongea son regard dans celui du châtain, blessée qu'il puisse penser une chose pareille. Non, elle n'avait pas peur de lui, ni de ce qu'il pouvait lui annoncer. A vrai dire, elle avait surtout peur de ce qu'elle deviendrait quand viendrait le moment où il la laisserait. Les visites prendraient bientôt fin et elle redoutait le moment où serait confrontée à elle-même. Parce qu'elle n'avait aucune chose qui la ramenait au bonheur. Elle ne pourrait faire que penser à son accident, à sa voiture qui avait percuté un poteau sans qu'elle sache réellement ce qu'il s'était passé. Ses pensées se tourneraient vers ses souvenirs d'enfance, par de vagues images d'un garçon de son âge qui riait avec elle et désormais, du parfum de Harry qui venait lui chatouiller les narines. Elle aimait son odeur, ce mélange de sueur, de son gel douche masculin et du parfum qu'il vaporisait sur son cou. Elle n'arrivait pas à distinguer le parfum exact mais elle aimait tant le sentir. Alors, elle se dit que si elle ne se souvenait pas du goût du bonheur, elle venait d'en trouver l'odeur. Douce et délicate.
Et elle se souvenue du regard que Harry posait sur elle, terrifié à l'idée qu'elle réponde par la positive. Maeve secoua doucement la tête et décolla ses doigts du lit pour les poser sur ceux du bouclé. Rien qu'un peu. Pour qu'il comprenne. Elle venait de faire le second pas qu'il n'espérait plus.

- Je sais que tu as compté pour moi, expliqua-t-elle avec tendresse, comme chaque mot qui s'échappait de sa bouche. Je me souviens de ton visage, je sais que je te connais mais je... Ma mère m'a appelé avant que tu n'arrives et je... Elle me parlait et moi, j'ai pas reconnu sa voix. Et j'essaye de me souvenir de son visage mais même ça, je n'y arrive pas. Et j'ai peur que ça dure. J'ai peur que tu sois déçu parce que je ne redeviendrais pas celle que tu as connue. Et surtout, celle que tu as aimée. Que tu aimes. Et peut-être qu'on a le même corps, cette fille et moi, mais je pourrais être son contraire. Et j'ai peur que tu t'accroches à cette image-là de moi. Peut-être que je vais jamais retrouver la mémoire et je veux pas m'imposer à toi. Je ne veux pas que tu restes dans l'espoir que je redevienne celle que j'étais. Donc tu peux me quitter, Harry. Je comprendrais ; tout le monde comprendrait. Tu n'as pas à endurer tout ça.

Il avala bruyamment sa salive et entrouvrit la bouche. Il voulut lui répondre mais rien ne sortit. Les mots restèrent bloqués quelque part entre sa gorge et son cœur. Il aurait aimé avoir du courage, trouver la force de lui dire la vérité pour s'enfuir de cette situation infernale dans laquelle il se trouvait mais même ça, il n'était pas capable de le faire. Et alors qu'ils se regardaient toujours intensément dans les yeux, il songea à l'amour qu'il lui portait et combien il était stupide à cause de ça. Il retint un couinement et lui répondit, la voix vacillante :

- Et si j'ai pas envie de te quitter ?
- Harry, tu ne sais pas dans...
- Je vais pas te laisser tomber car tu ne sais plus où est rangé le sucre.

Elle rit. Nerveusement. Parce que peut-être, la seule chose dont elle se souviendrait, ce serait ce genre de détails. Et elle comptait sur Harry pour la guider sur le reste. Et il y avait tellement de choses qu'elle voulait connaître sur elle mais surtout, sur lui. Sauf qu'une infirmière frappa à la porte et entra, sans autorisation, demandant à Harry de quitter les lieux.

- Vous pourrez revenir demain après-midi, dit-elle en attendant que le châtain la rejoigne.

Harry retira sa main de celle de Maeve et tata ses poches, s'assurant qu'il possédait encore ses clés. Il sourit à la blonde avant de regarder l'infirmière qui s'impatientait. Dernier coup d'œil à l'horloge qui se trouvait face au lit : Vingt-et-une heures vingt-trois. Avait-il vraiment passé près de sept heures dans cet hôpital ? Et l'infirmière venait-elle réellement d'enfreindre la règle en le laissant auprès de Maeve vingt-trois minutes de plus ? Il remercia silencieusement la trentenaire et s'apprêta à la rejoindre lorsqu'une main s'agrippa à son poignet.

- Tu vas revenir demain ?

Il embrassa son front comme un père le ferait avec son enfant. Bienveillant. Et ce geste fût le plus naturel du monde, pour elle comme pour lui. C'était la première fois que ses lèvres touchaient le corps de Maeve et il priait pour que ce ne soit pas la dernière.

Ripping out the pages.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant