Chapitre 7

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Helen

Aussi loin que je m'en souvienne, j'avais toujours été fascinée par la beauté du mois de mai. Le cerisier en face de ma chambre était en fleurs depuis quelques jours, et c'était simplement magnifique. En quelques jours, l'arbre abandonnait l'hiver et s'offrait au printemps, le tout à une vitesse impressionnante. J'avais l'impression que d'un instant à l'autre, les fleurs n'étaient plus les mêmes. C'était sûrement pour ça que je passais mes journées à regarder par la fenêtre, j'avais peur de perdre une miette de cette évolution fulgurante, peur de partir trop longtemps et de me rendre compte que tout avait changé. Maintenant que j'y repense, assise sur mon lit, les yeux dirigés vers l'arbre, je me demande si ce n'est pas simplement que j'avais peur du changement. Cela peut sembler paradoxal, j'ai peur de voir les choses changer donc je les regarde changer. Peut être que c'était une façon de garder le contrôle. Peut être que le frisson de la peur me donnait l'impression de vivre un moment spécial. Ou peut être que je surinterprète ma passion enfantine pour les fleurs de cerisier.

Malgré tout, je ne peux nier que tout s'accélère ces dernières semaines. J'ai beau avoir eu le serment de Charlie, ma peur qu'il disparaisse du jour au lendemain ne s'est pas évaporée. Après tout, nous passons le bac dans quelques semaines mais que se passera-t-il ensuite? Rien ne l'empêchera de choisir une université loin de moi, loin de ce possible amas de cellule qui se développe en moi de plus en plus vite. Rien que de m'imaginer seule avec un enfant dans les bras, je sens mon déjeuner remonter. Je n'en suis juste pas capable, et j'ai trop souffert de ne pas avoir connu mon père pour faire subir la même chose à un enfant innocent. Je n'en suis pas capable. Parmis tous ces derniers événements, pouvoir regarder cet arbre pendant quelques minutes me ressource. Une pause dans le tourbillon, un endroit calme juste quelques instants.

Plusieurs jours s'étaient écoulés depuis la soirée qui avait suivi notre première manifestation. Nous avions été à celles des jours suivants, et à chaque fois la tension grimpait entre étudiants et policiers. À tout instant, les uns ou les autres pouvaient déraper. On nous mettait en garde contre les arrestations aléatoires, et même s'il y avait eu relativement peu de problèmes de notre côté, on se doutait que ça allait finir arriver. La joyeuse chorale de L'internationale à place de l'étoile n'avait pas plu à tous le monde, et on estimait à plus de 400 les arrestations et 600 les étudiants blessés. Depuis, on se ventait que le mouvement se rependait dans tous le pays, et qu'il prenait tellement d'ampleur que la seule réponse du gouvernement avait été l'interdiction de réouvrir les facs, par peur des débordements. Pour tous, c'était une preuve de leur imcompétence, une de plus.
"Réprimer c'est tellement plus simple que de tenter de discuter, de comprendre les revendications. La violence crée un climat de peur, et on finit par abandonner le combat, car on tient plus à la vie qu'à nos idées. Dans une réelle démocratie, on préfère la confiance à la crainte. Mais on risque d'être contesté. Et nos politiques ont un ego susceptible, donc ils répondent comme ils peuvent, et mettent en péril la liberté." avait expliqué Juliette lorsqu'elle nous avait appris les nouvelles des arrestations

Ces mots tournaient dans ma tête depuis plusieurs jours, et plus les heures au côté des étudiants passaient, plus j'étais convaincue du bien fondé de notre action. Nous ne nous battons pas seulement pour un meilleur système scolaire, mais aussi pour la liberté, la démocratie. Tant que nous pouvons exprimer un avis sincère, et donc potentiellement négatif, nous pouvons espérer faire évoluer le système en bien. Le jour où tous le monde dira que notre façon de vivre est parfaite, ce sera une dictature.

Les immeubles bourgeois du quartier latin n'ont plus le même visage depuis les émeutes des derniers jours. Les classes riches se sentent menacées par ces pauvres gueux en tee shirts froissés, il paraît que certains habitants du XVI ème arrondissement n'osent plus sortir de chez eux, craignant une agression. Voir les tags sur leurs portes a donc une saveur particulière, et je leur souhaite sincèrement de mettre un pied sur le trottoir un jour de manifestation, qu'il comprenne la réalité, la vraie, celle sans le filtre de leur réseau de relations, de leur argent et de leur nom à particule.

Une main fraternelle se pose sur mon épaule et je tombe sur le sourire radieux de Juliette. Celle ci m'entraîne dans le cortège, près à partir, en faisant des grands gestes pour accompagner ses propos passionnés. La routine de cette dernière semaine s'installe, les slogans, les pancartes, les discours. Mais l'ambiance semble particulièrement lourde, sans que je ne sache d'où elle vient au premier abord. Mes yeux parcourent le cortège, croisent les regards déterminés, voient les mâchoires serrées. Je tourne la tête et vois les policiers qui bloquent les rues. Je vois les fourgons, les armes à leurs ceintures. Je vois la ligne bleue foncée qui s'avance vers nous. Je vois le cortège forcé de s'arrêter en constatant qu'on l'empêche de passer. Je vois une dizaine d'étudiants qui s'avancent pour demander pourquoi on les bloque. Je vois le débat. Je vois la main du policier qui se lève et s'abat sur l'arrière du crâne de son interlocuteur. Tout devient flou, les cris outrés se mélangent aux ordres de garder notre calme. Les manifestants reprennent leur marche, tentant de forcer le passage. Certains groupent se détachent et veulent passer par des rues adjacentes, mais elles sont toutes bloquées. Juliette me regarde et me prend la main, courant pour rejoindre un attroupement en milieu de cortège. Les voix s'emmêlent, impossible d'être sur de qui parle à qui.

-Qu'est ce qu'ils leur prennent ? Ils n'ont jamais été si loin !

-S'ils commencent à frapper les têtes de cortège, on peut être sur qu'on va passer la soirée à l'hôpital !

-Qu'est ce qu'on fait concrètement ? Demande une troisième personne en se tournant vers Juliette. On fait profil bas et on s'en va ?

-On ne peut pas arrêter maintenant ! Avec ça, on est en une des journaux demain !

-Donc quoi ? On se laisse tabasser sans rien dire ?

-On a pas le choix, si on riposte on va tout nous mettre sur le dos. Ils ne demandent qu'à dire que c'est de notre faute, qu'on est la source de la violence !

-On ne peut pas les laisser faire ça, c'est une honte !

Les protestations continent jusqu'à ce que quelqu'un siffle pour réclamer le silence. Une jeune fille au teint ébène monte sur un banc, et son assurance laisse sans voix la majorité de l'assistance.

-Ils ont voulu nous bloquer pour nous réprimer, sous prétexte de garder un semblant de calme. Mais qui n'a pas respecté le calme ici ? Eux ou nous ?

-Eux. Crie le public

-Ils ont voulu nous prendre sur notre terrain ? Rendons leur la pareille !

-Qu'est ce que tu veux dire ? Demande un sceptique

-Ils ont tenté de nous enfermé dans notre lieu d'expression, le seul pour beaucoup de minorité. Être ici c'est notre seul moyen de nous faire entendre. Ils font usage de la violence et ferment les issues ? Utilisons les mêmes armes, les coups et les barricades !

💠

Salut vous ! Des mois et des mois d'absence mais voilà un nouveau chapitre. Peut être qu'il y en aura d'autres, peut être pas... Pour ça il faut mettre cette histoire dans sa bibliothèque pour être sûr.e de ne rien manquer !

À samedi, qui sait ;)

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⏰ Dernière mise à jour : Mar 30, 2020 ⏰

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