Mercatiques, Volards, Ferpailleurs et le reste.

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Si j'avais bien compris, et il me semblait avoir bien compris, les Oubliés se séparaient en quatre grandes factions, avec une vision différente de leur propre condition.

D'une part, les "S'dusol", pour "Ceux-du-sol", avaient totalement accepté la fatalité des bas-fonds. Pour eux, ceux d'en haut, que tous appelaient la "haute", étaient des sortes de légendes inatteignables, et l'espoir de voir un jour le ciel était juste un rêve hors de portée qu'il nous fallait oublier, sous peine de se consumer dans un besoin que rien ne pouvait combler.
Leur crédo : "Le Sol est notre nation, la misère est notre maison."

Ce sont eux qui gèraient la majeure partie du commerce: ils s'étaient installé en bas, prospéraient et vivaient comme ils le pouvaient en bas.
Ils naissaient en bas, grandissaient en bas, le plus souvent dans un des très nombreux orphelinats où on leur donnait une éducation nécessaire à la survie dans les bas-fonds : nul besoin de s'enticher de mathématiques, de belles lettres ou d'histoire. Là-bas, on leur apprenait la vie, la seule chose qui vaille.
Les groupes s'y formaient, certains préférant se tourner vers le commerce : acheter (ou voler) des objets et les revendre au meilleur prix.
Ils se formaient alors en "Mercatiques", comme ils se nommaient, sous-branche volubile des S'dusol, savant habilement négocier, manipuler, arnaquer, se glisser dans toutes les failles de l'être humain et en tirer le meilleur avantage.

D'autres gamins privilégiaient la vie de pillard : ils allaient alors vers la voie des "volards".
C'étaient eux qui grouillaient dans les rues à la recherche d'une poche mal fermée ou d'une pièce tombée au sol. Quitte à provoquer eux-mêmes des bagarres pour chaparder leurs cibles.

On se méfiait beaucoup d'eux, mais là intervient la deuxième grande faction de la société des bas-fonds : les "Ferpailleurs" (dont fait partie Nat', Nap', Cassandra, Hilde, Idylla et toute la bande.)
Ils constituaient une minorité dans la population, mais c'étaient eux qui font vivre tout le système : ils étaient presque les seuls à s'aventurer hors des grandes villes pour chercher... n'importe quoi, en fait.
N'importe quoi qui ait un temps soit peu de valeur.
Des déchets tombés d'en haut, des carcasses, des aventuriers malencontreux. Quitte à piller les morts autant que les vivants, puisque tout est bon à prendre. Autant dire qu'un taxi abîmé et deux drones de sécurité à peine cabossé, c'est de l'or en barre.
Certains allaient jusqu'à mettre en place des mines structurées à même le sol d'Abdel31 pour extraire des minerais de valeurs.

Bien sûr, c'étaient des volards qui minaient : l'esclavage et le travail des enfants n'étant aucunement détecté par les milices.
Leur devise: "L'avenir se construit du passé des autres". Grosse ambiance.

En bonus de ces deux factions, il y avait les "rêveurs" (ça, c'est moi) qui tentaient de remonter aux étages de Khyberia.
Là, tous les moyens étaient bons pour eux, et pour les passeurs également (les passeurs étant mercantiques ou ferpailleurs; tout le monde essayait d'arnaquer les rêveurs.)
Certains, très rares, venaient d'en haut et avaient déjà une identité légale. Mais pour les autres, les très très nombreux autres, c'étaient juste des gamins natifs du sol qui espéraient s'enfuir d'Abdel, et qui gardaient cet espoir à l'âge adulte.

La quatrième grande faction, que je n'ai pu qu'apercevoir de loin dans une des rues d'Aemaq, étaient nommés les "Fanatech" par les autres, mais eux-mêmes se désignaient par "frère" ou "sœur" entre eux.
De toutes façons, ils ne se parlaient qu'entre eux, les autres étant indignes de leur parole.
Ceux-là se fichaient bien de rester en bas où de s'enfuir en haut; seule comptait pour eux la vénérée et vénérable Sacro-Sainte Technologie. Ils s'implantaient tout ce qu'ils pouvaient, supprimant une à une les parties organiques de leur corps.
Les plus atteints devenaient méconnaissables, des gueules d'acier montées sur des rouages de cuivre.
Des rumeurs prétendaient même que certains rejoignaient la méca-milice et patrouillaient parmi les droïdes, afin d'obtenir des pièces de rechange de leur part.

« Hé, une fois en haut, tu pourrais écrire un livre sur la société des bas-fonds !

- Personne le lira, tout le monde se fiche des oubliés.

- Je le l'écrirais pour toi, tiens. C'est inspirant, comme monde. Tout le monde sait qu'il existe, mais personne ne sait rien dessus.

- "La face cachée de Khyberia" ?

- Trop cliché. Tu remontes comment, du coup ?

- Les passeurs, c'est mort. Certains rêveurs tentent d'escalader les tours, on retrouve leurs corps au pied de celles-ci. Sinon, on peut essayer de prendre un véhicule volant quel qu'il soit, mais on devra traverser le filet et éviter les drones des derniers étages. Et ça sera difficile à trouver. Appeler à l'aide quelqu'un d'en haut ne servirait à rien, personne ne descendra ici.

- Question !

- Réponse !

- Comment descendent les milices, vu que y'en a pas mal qui sont détruites par tout le monde ?

- Comment ça ?

- Les milices. Elles ont beau être armées -et bon sang elles le sont-, certaines se font attaquer par des ferpailleurs ou des fanatechs pour leur matériaux. Comment s'opère le remplacement ? Elles doivent bien venir de quelque part.

- Ouais, mais les usines sont en haut.

- J'ai les coordonnées de toutes les tours. Les droïdes de la milice sont assemblés dans une tour à trois petits kilomètres d'ici.

- Et alors ?

- Si elles descendent de quelque part, c'est de là-bas. Ça peut être une porte de sortie.

- Et personne n'y aurait pensé avant ?

- C'est peu probable... mais tout le monde ne sait pas d'où elles viennent ?

- Je pourrais poser la question à Nap' ?

- Comme tu le sens. Tu as le lieu et la date du rassemblement de leur groupe; tu as deux heures à rien faire devant toi. Amuse-toi bien ! »

Ha ha ! Que de blagues. Elles servaient sans doute à me faire oublier le fait que l'on soit bloqués dans les fin-fonds de la détresse humaine, avec un mince espoir d'en sortir.
Mince espoir qui signifiait aller là d'où sortent les machines de guerre les plus froides et meurtrières inventées par l'Homme afin de contenir des populations à risques.

Il s'agissait de l'origine et de l'utilisation première des milices de ce type : maintenir l'ordre dans des villes où l'État ne voulait aucunement se mouiller. En revanche, le Wa.r avait, à ma connaissance, qu'un usage purement militaire.
Ce n'étaient pas les tanks les plus puissants, mais les meilleurs en ratio destruction/prix.
Si tant est que ce ratio existe quelque part.

Me rendant sur le lieu de rendez-vous, je croisa à nouveau le chemin d'un groupe de droïdes, ceux-ci inspectant l'intérieur d'un bâtiment.

J'entendis un coup de blaster derrière moi, en les dépassant.
Je ne voulais rien savoir. Je ne voulais pas voir.
À l'instar des autres personnes qui grouillaient dans la rue bariolée, je fis profil bas et continuais mon chemin sans me retourner.

Vivement que je me tire d'ici...

À travers Khyberia T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant