Un pas après l'autre

23 8 4
                                    

« On fait quoi, du coup ? »
Pour dire vrai, je ne voulais pas réellement de réponse à cette question.
Parce que dans un cas, je rentrais à Khyberia pour poser un rapport où il serait marqué que j'avais laissé filer la preuve essentielle de l'affaire.
Et dans l'autre cas, je restais dans cette saleté de nid grouillant de Portias mécaniques pour glaner quelques indices supplémentaires.

« Comme tu veux, Gal. »

Merci, Lag. Tu m'aidais vraiment beaucoup sur ce coup là.
Quelque part au fond de moi, je sentais les répercussions de ma connerie grandir.
Je sentais que cette affaire sera ajoutée à ma looongue liste d'affaires retirées et refourguées à un autre. Genre à Pol. La moitié des enquêtes de ce gars étaient des dossiers qui m'avaient été retirés, et il s'en vantait en plus.

Ma panique laissa place à une lassitude, après quelques temps de réflexion posée.
Au final... ce n'était pas la première fois que je faisais une gourde pas possible, et ce ne sera pas la première fois qu'on me retire une affaire.
Mon premier cas de meurtre, oui, mais bon.
Cette enquête me dépassait un peu. Une mafia ou je-sais-pas-trop-quoi qui jouait des coudes pour faire pression sur des pilotes, c'était pas le type d'affaire que je fais d'habitude.

« Je pense que je vais rentrer, lâchais-je simplement à Lag. Si je lui disais qu'une fois là bas, j'abandonnerai l'enquête, elle me forcerait à continuer.

- C'est toi qui vois. Il y a des trains toute les cinq minutes en ce moment, ne te presse pas.

- C'est sûr que je vais profiter de la vue, hein...»

Une vue magnifique rongée par des millions de saloperies, je vois pas où est le problème ! D'autant plus que la nuit, les éclats des étoiles se reflétaient sur les noirs miroirs qui servaient de carapace métallique à ces horreurs; et que du point de vue du pauvre être paumé que j'étais, cela ne faisait qu'encore plus d'yeux scintillants scrutant le plus profond de mon âme.
Faisant mine de ne pas y prêter attention, je regagnais la gare à travers le fluide humain pour monter dans le premier train en direction de Khyberia.

Le trajet fut long, mais silencieux. Nous revîmes les grandes mines de fer et d'autres métaux, toujours actives en pleine nuit -aucun syndicat des machines-, et relativement éclairées. Les grandes mâchoires excavatrices d'acier paraissaient déjà colossales en soi, mais l'écart entre les lointaines lumières de nuit de leurs articulations me faisait sentir encore plus minuscule que je ne me sentais déjà.

« Gal ?

- Mhhh ?, marmonnais-je, à moitié endormi.

- On en a déjà beaucoup parlé, mais j'aimerais y revenir. Encore. Je n'aime vraiment pas que tu me coupes comme tu l'as fait devant la pilote. Quand tu fais ça, je n'ai plus l'impression d'être avec toi, comme une coéquipière. J'ai l'impression de n'être qu'une interface, un service de com'.

- Désolé, lui soufflai-je.

- Non, sincèrement. Tu ne sais pas ce que je peux ressentir. Imagine que nous parlions avec quelqu'un et que je décidais de mettre ma main devant ta bouche, de te bâillonner. C'est ça, mais en pire. S'il-te-plaît, évite. Vraiment.

- D'accord », répondis-je avec toute la conviction dont pouvait faire preuve quelqu'un d'aussi endormi que je l'étais. Elle ne répondit pas.
Je dus rassembler toutes les forces de mon cerveau pour confectionner une demande de pardon à peu près viable. Elle ne répondit pas non plus. J'espérais ne pas l'avoir vexée...
Une Conscience™️, c'est fort pratique de par à la fois son esprit de déduction logique et ses capacités à réfléchir face à une situation nouvelle (ce qu'un algorithme ne peut faire). Mais aussi des sentiments.

À travers Khyberia T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant