En Scène ! [Ré-édit]

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Réécriture de « En Scène »
Je garderai l'ancienne par pure nostalgie, mais elle entre en contradiction avec quelques points qui apparaissent plus tard.
C'est le comble pour un incipit de s'opposer à la suite, mais pour ma gouverne j'avais pas prévu toute l'histoire dès le début.
Trêve de palabres, bonne lecture !


Une douce brise. Des feuilles bien vertes, lentement bousculées par le vent. Là-bas, un cerisier en fleur libérant ses pétales au gré du souffle qui caressait un parterre d'herbes et de fleurs colorées.
Un fin ruissellement d'eau claire emportait dans sa course quelques des pétales roses, et un soleil d'août faisait scintiller de ses rayons les plis de la rivière.
Partout voletaient des libellules aux reflets métalliques, sautillaient des adorables lapins à la fourrure blanche et douce, chantaient des cigales ou encore virevoltaient de petits oiseaux de toutes les couleurs. Dans le cours d'eau barbotait même une loutre et ses petits, s'éclaboussant avec malice.

Et moi, là-dedans ? Moi, je ne suis qu'un homme, et je ne peux qu'admirer le charme idyllique de ce jardin d'Eden. Je ne suis qu'un observateur s'extasiant devant une toile de maître, qui ne comprend aucun des coups de pinceau mais qui ne peut qu'apprécier la perfection de chaque trait.

C'est précisément en des jours, en des endroits comme ceux-ci, que l'on se demande comment le monde peut encore aller mal.

Les grillons, les cigales et les oisillons apportent une symphonie calme et sereine au tableau. Des piaillements se mêlent aux chants aigus, et un croassement fait irruption.

Un étrange oiseau, merle par la taille et corbeau par l'aspect, s'est incrusté parmi les petits volatiles. Il brise leur chant de ses croassement rauque, et les force à se taire.
Bientôt, seul son chant grave déchire le silence qu'il a installé, silence qui se recoud après chacun de ses cris.
Un autre oiseau identique se pose non loin, et entame le même chant funèbre que son confrère, bientôt rejoint par un autre, deux autres, quatre autres. Il sont une trentaine tout autour de moi, et me harcèlent de leurs hurlements incessants.
27. Ils sont exactement 27. Mon esprit s'efforce de faire taire cette voix qui, au fond de moi, me dit qui sont ces créatures cauchemardesques. Je le sais, je ne veux pas le savoir, alors j'ouvre pour eux la porte de l'oubli; ils n'y vont pas.
Ils restent, tous les 27, tournant autour de moi dans un déluge de plumes noires, dans un cyclone d'ombres et de cris.
Les Cris. Les 27 Cris que je distingue, tous, chacun d'entre eux m'assaille de questions que je ne veux pas entendre, auxquelles je ne veux pas répondre.

Mon réveil sonna. Mes yeux se rouvrirent, papillonnèrent pour s'habituer à la lumière.
Je restai quelques minutes emmitouflé dans mon drap pour essayer d'oublier, ou à défaut de sceller dans un coin de mon subconscient, ce énième cauchemar surgissant de mon passé.

Je décidai enfin, non sans soupirer, de me hisser hors de mon lit, pour m'habiller dans cette minuscule salle qui constituait ma chambre et le seul habitat que j'aie jamais eu depuis longtemps déjà.
A travers l'unique fenêtre de mon 4m carré s'élevaient les hautes tours résidentielles de Khyberia; de gigantesques barres hexagonales d'immeubles renfermant chacune des milliers de cases minuscules similaires à celle qui m'entourait; plus dortoir que chambre, et très très loin de la définition d'une maison.

Ma main chercha maladroitement, encore engourdie par la fatigue, mon oreillette.
À peine l'eus-je mis en place qu'un hologramme bleuté s'alluma au dessus de mon réveil, des informations défilant à toute vitesse.
Mon oreillette s'alluma également.

« Bonjour, Gal. Tu as bien dormi ?

- Toujours aussi épouvantable, Lag. Il y a quelque chose, aujourd'hui ? demandai-je en m'emparant de la tasse de café qui venait de sortir.

- Tu vas être content pour cette fois, Gal. On nous a assigné une affaire de meurtre. »

Je jetai un œil perplexe à l'interface. D'habitude, les affaires de meurtre étaient assignées à des agents plus haut gradés, les inspecteurs minables tels que moi n'avaient droit qu'à des arrestations de voleurs sans intérêt et sans gloire.
« Les détails des affaires ont été envoyés ?

- Seulement une partie, et à vrai dire la piste du meurtre n'est qu'une supposition. Des citoyens sans implants ont été retrouvés avec des mutations... étranges.

- Du genre ?

- Il faut le voir pour y croire. Ton bus part dans moins de trois minutes, Gal. Tu vas encore être en retard. »

Je jetais ma montre pour constater qu'effectivement, je risquais, comme à mon habitude, de rater le transport.
M'emparant de mon manteau et finissant d'une traite mon amer breuvage, je m'élançais dans les couloirs de la tour jusqu'au balcon qui servait aussi d'arrêt de bus, où l'engin était déjà arrêté.

Je m'y engouffrais de justesse ; très peu de personnes s'y trouvaient. C'était une des raisons pour lesquelles je me levai aussi tôt; les bus étaient déserts. Le prochain aurait été bondé, et Dieu sait à quel point je hais la foule.

Ma main réactiva l'oreillette contre ma tempe gauche, et la voix de l'interface reprit.
« Re-bonjour, Gal. Les dossiers concernant l'affaire sont au Central de Police, on te briefera là-bas.

- Tu avais dit des citoyens sans implants, c'est ça ?

- Tout à fait. Trois pour le moment. Pas de caméras, pas de traces, rien.

- C'est surtout pour ça qu'on me refourgue l'affaire, tout le monde se fout des sans-implants. »
À Khyberia, la Technologie était le maître mot. À part les fonctionnaires (dont je faisais partie en tant qu'inspecteur de police), près de 80% de la population travaillait comme chercheurs, ingénieurs ou techniciens.
Et, dans cette même population, 90% des citoyens disposaient d'améliorations bioniques, de grandes entreprises produisant des implants visant à s'améliorer autant physiquement que mentalement.

Chacune de ces corporations proposait au moins une dizaine de versions pour chaque organe, avec des spécificités pour chacun, comme des mains à la précision de neuro-chirurgien ou des jambes à la puissance d'un champion de course.
J'avais moi-même un cœur bionique battant dans ma poitrine, boostant mon endurance, dont le manque flagrant m'avait fait défaut en début de carrière.

Le bus stationna devant le Central de police, et je m'y engouffrais en me faufilant entre ceux qui montaient dans le véhicule.

À travers Khyberia T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant