Nous sommes toutes les deux côte à côte, nous marchons en discutant de tout, et de rien aussi. Rien, comme ce que nous croyions risquer. Nous étions deux adolescentes insouciantes et persuadées d'avoir la vie devant elles.
Puis mon pied dérape.
Je me sens tomber, et je réalise dans un flash que c'est sur la route que je chute.
Tout est trop rapide, l'instant d'avant, je suis cette collégienne qui sort des cours, accompagnée de sa soeur, et qui rentre tranquillement chez elle. L'instant d'avant, je suis une jeune fille comme une autre, avec ses petits problèmes et ses grands bonheurs, loin des soucis de la vie.
J'entends parfaitement le bruit de la voiture qui fonce sur moi à toute vitesse.
L'horreur me saisit à la gorge, elle me tient et me tire vers elle, loin de ma soeur.
Je m'agrippe à sa manche, elle pousse un cri, et je comprends trop tard mon geste. Je n'en saisis qu'en la voyant chanceler, basculer à son tour, tandis que moi, retenue par son bras, je dégringole dans le caniveau.
Y avait-il de l'eau, dans ce caniveau ? Je suis incapable de le dire. Mes pensées sont toutes dirigées vers elle.
Elle chute à côté de moi, là où j'aurais dû me trouver quelques instants plus tôt.
C'est moi qui aurait dû être écrasée.
C'est la première chose qui me vient à l'esprit lorsque la voiture arrive. Elle a bien tenté de freiner, mais elle n'a pas réussi. J'ai entendu ses pneus crisser, comme dans les films, sauf que, contrairement aux films, elle ne s'est pas arrêtée à l'ultime fraction de seconde.
Puis le choc sourd, les cris des passants.
Je regarde celle que j'aime, allongée sur le goudron, cherchant son souffle. Elle n'en a plus pour très longtemps à vivre, elle le sait, je le sais, les passants le savent. Mais ils appellent les secours, tandis que je me penche, mes larmes menaçant de couler.
Je veux être forte, je veux qu'elle pense qu'elle va s'en sortir. Mais je ne parviens pas à lui sourire. Le peu que je puisse faire pour elle, je ne le fais pas, elle qui a tant fait pour moi.
Je revois la petite fille qui me courait après dans la maison, lorsque nous n'avions que trois ans. Je revois la fillette de huit ans qui me jalouse d'avoir eu la meilleure note. Je revois la jeune adolescente qui me prend dans ses bras en me murmurant qu'elle est fière d'être ma soeur.
Désormais, je vois son désespoir. Je vois le sang, partout. Il est sur son tee shirt, son jean. Il est dans ses longs cheveux, qui cachent son visage.
- Je t'aime...
Sa voix est sifflante, elle lutte pour pouvoir me dire ce qu'elle a à me dire, avant qu'il ne soit trop tard. Avant que la mort ne s'interpose, lui plaque une main sur la bouche pour l'empêcher de dire ses derniers mots. Ses derniers mots qu'elle garde, pour moi.
- Plus que tout au monde... Cet amour, je le réserve à toi seule.
C'est poétique, mais je ne veux pas de ces jolis mots pour panser mes plaies, aussi profondes mais moins mortelles que les siennes. Elle grimace, les larmes commencent à submerger mon visage.
- Tu l'as si souvent dit : nous sommes une même personne, quelque chose nous unit. Un lien...
Sa voix se brise, elle n'a plus la force de continuer. Pourtant, elle le fait.
- Un lien plus puissant que la mort.
Elle a pu finir sa phrase. Le cliché du film est arrivé, mais bien trop tard. J'observe son corps - son cadavre. Je cherche mon souffle, ne le trouve pas. Comme les siens, mes poumons ne fonctionne plus. Je tombe à ses côtés. Après tout, ce serait bien, de mourir à côté d'elle. Unies jusque dans la mort.
J'observe mes mains tâchées de son sang, et je murmure, mes yeux se fermant sur cette dernière vision :
- Clara...
Je ne suis plus là.
Tu n'es plus là.
C'est de ma faute.
Est-ce que je regrette ?
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Je suis seule
Short StoryParfois, je me demande pourquoi. Mais le plus souvent, je ne pense pas. Mon esprit est vide, les heures se succèdent, faisant place aux jours, puis aux semaines. Le temps n'a plus d'emprise sur moi. Est-ce que je regrette ?