VIII. 2018 - ... a son couvercle

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Sans lâcher ma main, nous rejoignons la plage en silence. C'est étrange, c'est sur cette même plage que j'ai découvert mon don, ou plutôt ma malédiction. Cinq ans déjà. J'ai l'impression qu'une éternité s'est écoulée depuis ce fameux soir.

— On s'assoit ? propose Gaspard.

Je hoche la tête et m'installe sur le sable. L'air est frais près de l'eau et je frissonne.

— Viens là, dit-il en passant un bras autour de mes épaules.

À quoi joue-t-il ? Au grand frère protecteur ?

Je ne peux néanmoins pas m'empêcher de pousser un soupir de satisfaction en me nichant contre lui. Son parfum boisé vient chatouiller mes narines et je savoure cet instant car je sais que je ne serai plus jamais aussi proche d'un homme qu'à ce moment. Et car ce plaisir simple est le seul que je puisse encore éprouver. Je ne devrais pas me laisser aller comme ça. Je vais souffrir, je le sais, car si mon corps est insensible, mon cœur, lui, souffre.

Son pouce caresse mon bras et soudain, il dépose un baiser sur le haut de mon crâne. Je suis comme paralysée, je n'ose pas réagir.

— Tu sais, commence-t-il, j'ai beaucoup repensé à cette nuit-là, il y a un an. À vrai dire, j'ai beaucoup pensé à toi depuis.

Mais qu'est-ce que j'ai bien pu lui raconter, cette foutue nuit de beuverie ?

— J'ai découvert une autre Candy. Plus vraie. Plus authentique que la garce nymphomane près de laquelle j'avais aménagé.

Je ne sais pas vraiment comment je dois le prendre.

— Jusque-là, je ne t'avais jamais regardée autrement que comme une fille sans cœur, usant et abusant de ses nombreux partenaires, les jetant comme des merdes après s'en être servi comme des sextoys vivants.

— Euh, c'est ma fête ou quoi ? Tu vas m'en mettre encore longtemps dans les dents ? m'exclamé-je en me redressant.

— Désolé, désolé ! s'écrie-t-il en me prenant dans ses bras. Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. C'est juste que j'ai t'ai toujours trouvée jolie et sympa, très intelligente aussi, mais je ne voulais pas être accroché à ton impressionnant tableau de chasse. Et puis, tu as changé, les hommes ont arrêté de se succéder et tu t'es refermée sur toi-même. Tu m'évitais. D'ailleurs après notre discussion d'il y a un an, tu as quand même continué à me fuir. Sauf que tu t'es insinuée dans mes pensées. Chaque jour un peu plus. Et ce soir, c'est un réel bonheur que de te voir rayonnante auprès des tiens.

Je n'ose pas croire à ses paroles.

Ses yeux sont plongés dans les miens et ses mains pressent les miennes avec douceur. Je n'arrive pas à croire ce qu'il est en train de me dire. Son visage est tout proche du mien, il fait un geste et plaque ses lèvres sur ma bouche. Son baiser se fait de plus en plus fougueux et je me laisse aller. Mon cœur explose sous le tourbillon de sensations qui m'envahit, de légers picotements viennent réveiller mon bas-ventre.

À vrai dire, c'est tout mon corps qui s'éveille sous ses doigts. J'ai l'impression d'être une de ces héroïnes de romance qui se pâment au premier regard. Une sorte de mix entre Tessa et Anastasia. Une gourde étroite et humide.

Mais je sais que tout cela est trompeur, cela n'ira jamais plus loin qu'un tout petit feu de camp et je finirais frustrée et lui malheureux. À bout de souffle, je le repousse.

— Mais...

— Arrête ! On ne doit pas ! Je... Je suis désolée.

Je me lève et m'enfuis vers le restaurant, le laissant seul sur le sable, les yeux dans l'eau.

Son rêve était trop beau. Jamais je ne pourrais le satisfaire. Je ne suis bonne à rien !

Je me réfugie sur le parking du restaurant, évitant ainsi de répondre aux questions de mes amis. Les larmes coulent sur mon visage sans que je puisse les retenir.

Larmes de frustation.

Larmes de colère.

— Ne pleure pas, Candy.

Cette voix. Je lève la tête et tombe nez à nez avec les trois fées.

— Vous ! Qu'est-ce que vous faites là ? Je vous ai cherché pendant trois ans ! Vous avez gâché ma vie !

— Oh non, ma jolie, tu l'as gâché toute seule, comme une grande !

— Quoi ? hurlé-je, hors de moi. J'avais tout ! J'étais heureuse ! Et votre foutu cadeau a ruiné ma vie ! C'était censé m'apprendre quoi, hein ? Que j'étais incapable de plaire aux hommes sans ça ? Qu'ils ne supportent d'être dans mes bras qu'à cause d'un enchantement débile lancé par trois petites bonnes femmes rondouillardes ?

— Pas du tout, jeune écervelée ! Tu avais toutes les cartes en main. Tous les pouvoirs. Nous t'avions mise en garde, pourtant. Mais tu n'en as fait qu'à ta tête ! Tu as abusé de ton don et surtout tu l'as utilisé à mauvais escient. Ce jour-là, au mariage, tu es allée trop loin. Tu as dû en assumer les conséquences. Les hommes ne sont pas des jouets que l'on jette après l'amour comme un kleenex plein de sperme. Ce sont des êtres humains comme les autres. Comme toi. Ils ont des sentiments, des désirs. Tu ne peux pas te jouer d'eux.

Je baisse la tête, honteuse. Elles ont raison. Je n'ai toujours pensé qu'à moi dans cette histoire. Mon plaisir. Mes sentiments. Je voulais Gabriel, peu m'importait ses sentiments pour Kelly.

— Et maintenant ? demandé-je d'une toute petite voix.

— Nous t'avons observée toutes ces années, répond Lation. Tu n'en as peut-être pas conscience mais tu as changé, ces derniers temps. Il y a un an, tu t'es ouverte à ton voisin...

— Euh... Ouverte à quel point ? Parce que j'étais un peu bourrée et je ne me souviens pas de grand-chose, en fait...

— Tu as ouvert ton cœur, reprend-elle, malicieuse. Et ce soir, tu l'as repoussé pour le protéger. Tu n'as pas voulu l'utiliser, lui aussi. Nous pensons que tu es prête.

— Prête pour quoi ?

— Prête pour retrouver une vie normale. Sans don. Mais aussi sans malédiction.

— Vous voulez dire que je vais à nouveau ressentir ?

— Oui.

— Mais je deviendrai à nouveau la Candy transparente de mon adolescence.

— Tu n'es pas transparente aux yeux de tout le monde, il me semble, fait Moimal en m'indiquant le restaurant derrière moi.

Je me retourne et aperçois Garspard qui s'avance derrière moi dans la pénombre.

— Il arrive ! Vous devez part...

Mais elles ne sont déjà plus là.

— Candy ! Je te cherchais, pourquoi as-tu disparu ? Je ne te veux aucun mal, je te le promets. Tu me plais. Tu me plais vraiment. Fais-moi confiance.

Son regard me transperce, ses mains sont chaudes sur les miennes. Tout va trop vite dans ma tête. Ma seule certitude est qu'il me plaît, qu'il fait naître en moi des sensations que j'avais presque oubliées. Et qu'à ses côtés, mon cœur se met à battre un peu plus fort. Je prends une grande inspiration et approche mon visage du sien.

Ce soir, je décide de lui faire confiance.

De nous faire confiance.

Trois petits mots... [TERMINÉE] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant