Prologue

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1993 - Un si joli cadeau


Seuls les pleurs de quelques bébés insomniaques ou affamés troublent le calme de cette nuit d'été à la maternité Notre Dame. Malgré la chaleur étouffante, la climatisation est éteinte dans la chambre numéro deux-cent soixante-cinq. Mathilde ne veut pas que sa petite Candy attrape froid. Le vent chaud s'engouffre dans la pièce par la fenêtre restée entre ouverte et fait voleter le fin rideau. Dans son berceau de plastique, la petite fille, à peine âgée de quelques heures, dort paisiblement, inconsciente de ce qui va se jouer dans quelques instants.

— Aie ! Rary ! Tu aurais pu faire attention ! Tu as atterri sur mon pied !

— Désolée Moimal ! Je n'ai pas fait exprès, c'est qu'on y voir rien là-dedans.

Trois fées rondelettes viennent d'apparaître dans un silence tout relatif.

— Mouais... Tu as toujours une excuse.

— Oh ça va, commence pas, hein ! réplique la Fée Rary en fronçant les sourcils.

— Chuuuuuut les filles ! Vous allez alerter la maman !

— T'inquiète, Lation ! Elle est déchirée sur huit centimètres, je te garantis qu'elle va prendre son temps aux toilettes si elle ne veut pas faire péter les points ! rétorque la Fée Moimal. On est tranquilles pour un bon quart d'heure.

Toutes trois s'approchent lentement du berceau et admirent le nouveau-né aux joues rondes. La lune se reflète dans leurs robes scintillantes et leurs volants de tulle s'agitent doucement sous la brise nocturne.

— Qu'est-ce qu'elle est mignonne ! s'extasie Moimal. Une véritable petite princesse ! Regardez un peu cette touffe de cheveux blonds ! Et ses petits bras potelets !

Les fées restent ainsi de longues minutes à observer le bébé qui dort à poings fermés, sous son drap de coton rose, brodé avec amour à ses initiales par sa grand-mère, Yvonne.

— Je ne voudrais pas casser l'ambiance, mais je crois que ça s'agite dans la salle de bain, intervient la Fée Rary après qu'un cri étouffé leur parvient de la pièce attenante. À mon avis, y a un point qui a sauté. Faut plus tarder, les filles.

— Bon, je commence ! s'exclame Moimal, d'un air assuré, en levant sa baguette magique. Petite Candy, petite fille des montagnes...

— Euh, ça c'est Heidi, ma vieille.

— Hum... Je reprends. Petite Candy, petite fille aux yeux clairs, petite furie. Je viens du ciel et les étoiles entre elles ne parlent que de toi... (1)

— Ça me dit quelque chose, ce truc, chuchote Lation à l'oreille de Moimal.

— Chut ! Je te fais don de la beauté. Tes cheveux d'or seront ta parure et tes doux yeux verts amadoueront les plus revêches. Ta bouche telle un bouton de rose, ton nez fin et délicat, tes pieds...

— T'as fini ? On n'a pas la nuit non plus.

— Pffff ! C'est bon. Vas-y, Moimal, toi qui es si forte.

La fée Moimal se penche sur le berceau et déclare :

— Candy, oh Candy, je t'offre un bien beaucoup plus précieux qu'une apparence aimable. Reçois en cadeau l'intelligence. De l'esprit et du cœur. Bienveillant et généreuse, maline et rusée, tu sauras réussir dans ce monde. Voilà, ajoute-t-elle en se tournant vers ses sœurs. Lation, à toi.

La troisième fée s'avance à son tour mais après l'intervention de ses sœurs, elle ne sait plus vraiment quoi offrir à l'enfant innocent qui commence à s'agiter. Concentrée et silencieuse, elle reste quelques instants à réfléchir puis s'exclame :

— Je sais ! Je vais te faire don de la toute-puissance ! Avec ça, tu domineras le monde et parviendras toujours à tes fins dans cette société patriarcale !

— Putain, Lation, tu ne vas quand même pas lui faire pousser un pénis !

— Ça va pas, non ? Je vais lui offrir bien mieux. Je vais lui offrir le don ! déclare-t-elle d'un air satisfait.

— Quoi ! Tu es sérieuse ?

— On ne peut plus sérieuse.

Lation agite sa baguette au-dessus du berceau et marmonne une incantation dans une langue ancienne, oubliée de tous les mortels. Puis, s'adressant directement à Candy qui vient d'ouvrir un œil, elle dit :

— Mais attention ! Tu devras toujours l'utiliser à bon escient ! Gare à toi si tu en abuses !

Le grincement de la porte de la salle de bain interrompt l'étrange cérémonie. Les trois sœurs se jettent un regard entendu et disparaissent dans un bruissement léger, laissant derrière elles quelques poussières d'étoiles.

D'une démarche gauche et hésitante, Mathilde, grimaçante, éteint la lumière des toilettes, avance difficilement jusqu'à son lit, et jette un œil attendri à celle qui occupe désormais une immense place dans son cœur. Le petit bébé aux joues roses referme les yeux, apaisé, après avoir senti la présence de sa mère. La jeune accouchée dépose un doux baiser sur le front de son enfant et reprend place, tant bien que mal, dans son lit, inconsciente des nouveaux pouvoirs de sa fille bien-aimée.

(1) Petite Marie, Francis Cabrel.

Trois petits mots... [TERMINÉE] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant