Reconquête

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Pour la première fois, elles avaient fait l'amour comme on se retrouve, pleinement accordées l'une à l'autre, confiantes, apaisées. Tout allait enfin à merveille, mais Léa n'osait pas encore se réjouir pleinement. Elle se tenait sur ses gardes, craignait de faire à nouveau une gaffe comme celle du pyjama qui la condamnerait à jamais aux oubliettes.

La première chose qui reçut le droit de cité chez Lucie, avant même Léa, fut bien sûr le fameux portrait réalisé ce soir-là. Il fut prestement encadré et accroché en bonne place au salon. Comme Léa passait une grande partie de son temps à dessiner, Lucie qui regardait toujours ce qu'elle faisait, avait parfois un coup de cœur pour un de ses croquis et le réclamait pour l'accrocher quelque part où elle pouvait l'admirer. Ainsi les dessins de Léa furent-ils les premiers à se réinstaller peu à peu dans l'appartement.

Il y eut ensuite ses vêtements. Depuis sa sortie de l'hôpital, la garde-robe de Léa lui posait problème : les vêtements trouvés chez Paul, tous parfaitement à sa taille, lui allaient techniquement à ravir, mais la plupart ne reflétaient plus sa nouvelle personnalité. Trop chics, trop guindés, trop féminins, en général peu pratiques au possible – bref elle ne les appréciait guère. Elle avait renoncé d'emblée aux robes et aux jupes, et vite abandonné les escarpins à talons. Néanmoins elle détestait faire les boutiques, et la nouvelle garde-robe qu'elle s'était offerte avec son modeste salaire de vendeuse était étique et disparate, car les vêtements unisexes qu'elle affectionnait autrefois ne lui allaient plus aussi bien désormais, et pressée par la nécessité mais peu motivée par la tâche, elle avait fait des choix hasardeux.

― Tu veux bien m'aider à me rhabiller comme il faut ? demanda-t-elle à Lucie qui contrairement à elle, adorait faire les boutiques et envahir les cabines d'essayage les bras chargés de possibilités.

Cette dernière ne demandait que cela, et commença par dépensa sans regret la moitié de son treizième mois au rayon lingerie pour lui acheter plusieurs ensembles coordonnés en dentelle et soie qui flattaient à ravir ses nouvelles rondeurs.

― Ca c'est de l'argent bien dépensé, soupira-t-elle avec satisfaction le soir même, après avoir pris tout son temps pour lui ôter l'ensemble qu'elle étrennait.

Camille avait été un vrai garçon manqué qui détestait toute espèce de fanfreluche, mais son style ne convenait pas à Léa, laquelle même en travesti aurait été bien en peine de passer pour un garçon. Aidée de Lucie, elle finit par trouver un compromis entre l'élégance guindée de la jeune juriste et ses propres préférences initiales, fait de vêtements confortables mais qui mettaient joliment en valeur ses formes féminines. Et puis maintenant qu'elle avait les yeux bruns, elle pouvait porter du rouge ! Le souvenir du vieux pyjama de Camille s'estompa derrière la nouvelle garde-robe qu'ensemble elles lui constituaient peu à peu.

Léa passait de plus en plus de temps avec Lucie, mais n'osait toujours pas s'installer. Chaque jour, elle quittait son petit appartement avec dans son sac quelques accessoires de toilette et un peu de linge de rechange au cas où elle ne rentrerait pas chez elle le soir.

― Tu peux laisser des affaires ici, lui dit un jour Lucie.

Elle ouvrit le placard et lui montra la place qu'elle avait libérée pour ses vêtements. La première fois qu'elle s'en servit pour y déposer quelques-uns de ses nouveaux habits, il sembla à Léa que la porte du placard était celle de leur avenir commun qui se rouvrait.

Puis il y eut les fleurs. Léa avait gardé de sa période de grosse déprime un goût durable pour ces fleurs qui l'avaient aidée à en sortir et pour cette vie végétale qu'en bonne citadine elle connaissait si mal mais dont elle admirait la ténacité. Elle apporta d'abord quelques bulbes pour parfumer l'appartement, puis une fois la saison passée, d'autres fleurs, plantes et arbustes en pot qui trouvèrent peu à peu leur place dans les différentes pièces ainsi que sur le balcon.

Même si la cuisine nécessitait quelques plantes aromatiques fraîches à disposition, Lucie n'avait aucun goût pour le jardinage. Mais elle aimait le parfum des fleurs, et se souvenait des dessins de jonquilles et de crocus qui l'avaient ramenée vers Léa. Amusée par la nouvelle passion de sa compagne, elle la laissa mener ses expériences végétales. Léa, dont l'appartement n'avait pas de balcon, créa pour elle un véritable petit jardin sur le sien. En quelques mois, prendre le thé sur le balcon devint délicieusement dépaysant dans le parfum des roses, les vrilles des volubilis, la dense verdure piquetée de petites fleurs blanches et rouges des buissons de sauge ornementale, le romarin fleuri de bleu pâle, et le ballet bourdonnant des abeilles venues se régaler à ce buffet coloré.

Ainsi peu à peu se dessinait leur nouvelle vie.

Un matin, Léa se réveilla tenant encore dans ses bras Lucie qui dormait paisiblement contre elle, la tête posée sur son épaule. C'était toujours l'inverse autrefois, parce que Camille était la plus petite et aimait se blottir dans les bras de Lucie. Elles avaient fini par s'adapter à leur nouvelle donne et y retrouver une forme d'équilibre. Léa savoura le moment, le dos nu de Lucie doux et tiède sous ses paumes.

Lucie bougea dans ses bras et se laissa rouler sur le côté pour s'étirer de tout son long comme un chat, puis lui adressa un sourire lumineux. Léa lui rendit son sourire.

― Tu sais, dit-elle avec un peu d'hésitation, j'étais sérieuse à propos d'avoir un enfant. Je veux faire partie du cycle de la vie.

Lucie la considéra avec un demi-sourire.

― Je n'ai jamais été contre le principe. Tu as envie de le porter ?

― Je crois, oui.

― Ca tombe bien, parce que moi pas !

Lucie se hissa sur un coude et lui chuchota à l'oreille avant de l'embrasser dans le cou :

― On va le faire, ce bébé !

CamilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant