Bonus • Lettre d'adieu

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J'étais assise à lire la lettre reçue ce matin, encore et encore. Je n'en croyais pas mes yeux. Mino était mort. Mon frère chéri était mort. Les larmes roulaient d'elles même sur mes joues. Je me doutais bien que cela pouvait arriver, il était militaire et j'étais loin d'être stupide. De plus, je voyais bien qu'il y avait autre chose. La mort l'avait toujours guetté de toute façon. Petit, c'était la faim et la maladie qui voulaient sa disparition, aujourd'hui c'étaient les ennemis de notre clan et peut-être même des personnes internes à notre armée.

Je relisai cette lettre encore une fois. Il avait été retrouvé attaché, battu, et on lui avait explosé le crâne. Quelqu'un l'avait clairement torturé avant de le tuer. Pourquoi ? C'était pour avoir des informations ou... Par vengeance ? Cette pensée me glaça le sang. Comment pouvait-on avoir envie de se venger de cet homme si doux ? Je fermai les yeux et me laissai tomber sur le dossier de ma chaise. C'était un cauchemar. Mon frère était mort.

Mort. Mort. Mort.

Ce mot tournait encore et encore dans ma tête. Je n'arrivais pas à réaliser. J'avais l'impression que l'on arrachait mon coeur et une partie de mon âme.

Mort. Torturé. Battu. Exécuté. Mort.

Je ne me l'expliquais pas. Qu'avait-il fait pour mériter cela ? Le méritait-il seulement ?

Mon coeur voulait croire que non, mais ma raison envisageait sérieusement que ce soit possible.

Il était militaire, pas bonne-soeur.

C'est en vidant sa chambre que je trouvai la réponse.

J'étais allée récupérer ses affaires à la caserne militaire dans laquelle il vivait.

Des vêtements. Des photos. Des livres.

Il avait gardé le livre de notre enfance, Les Contes, celui que notre mère nous lisait encore et encore, trop pauvre pour en acheter d'autres. Je l'ouvris et le feuilletai avec nostalgie. Une larme roula, puis deux, puis trois. je m'effondrai à genou sur le sol en pleurs.

Mon frère. Mon grand frère. Mon frère adoré. Mort.

Finir de vider sa chambre fut difficile. Chaque objet que je voyais me rappelait un souvenir et ravivait ma douleur.

Une fois rentrée chez moi, je m'effondrai dans un fauteuil. Comment allaient réagir nos parents ? Comment allais-je bien pouvoir leur annoncer ? Ma mère en aura le coeur brisé. Et mon père, bien qu'il restera fort par dignité, souffrira également. Je soupirai et reniflai. Je jetai une coup d'oeil au carton en face de moi. Le livre de contes en dépassait légèrement. Je tendis le bras et l'attrapai, avant d'ouvrir une page au hasard et la lire. "Le Chat Potté". Je souris. C'était son préféré. Je la lis, me remémorant toutes les soirées à écouter ce conte et à nous imaginer être sauvé par ce fameux chat. Mino avait même tenté de demander de l'aide au chat de la ferme voisine une fois. Je ris légèrement à ce souvenir.

Mais au fil de ma lecture, un détail m'interpela, des lettres étaient entourées. On aurait pu croire à des coups de crayon accidentels, mais je connaissait mon frère, il prenait soin de ce livre comme de sa vie. Jamais il n'aurait permis qu'on dessine dessus, et surtout pas autant. En y regardant de plus prêt, les lettres semblaient former un mot. J'attrapais un morceau de papier, un crayon, et recopiai les lettres au fur et à mesure.

"Couverture".

Un unique mot. Je suppose qu'entourer trop de lettres aurait été suspect aux yeux des soldats qui avaient fouillé la chambre avant moi, vérifiant que Mino n'avait rien laissé risquant de compromettre ou dévoiler des secrets d'État. Quelques coups de crayon dans un livre pour enfant avaient dû leur sembler anodin. Manifestement cela ne l'était pas. Ou alors le hasard faisait très bien les choses. Mais je ne croyais pas au hasard. Je me mis à inspecter la couverture du livre sous toutes ses coutures, à première vue : rien. Mais si on y regardait de plus prêt, une partie de la couverture, de tissu bleu, avait été minutieusement découpée puis recousue. J'attrapai un petit couteau et tranchai les liens fraîchement tissés. J'écartai les pans de tissus et l'aperçus : une feuille pliée en quatre avec mon prénom écrit dessus. Je l'ouvris, c'était l'écriture de mon frère.

"Ma chère soeur,

Pardonne-moi pour ce petit stratagème, mais je ne souhaitais pas que l'armée tombe sur cette lettre, et je savais que tu serais assez intelligente pour comprendre.

Si tu lis ceci, c'est que je suis mort.

J'imagine bien ta réaction, effondrée, à te demander pourquoi et à te dire que je ne le méritais pas. Mais je t'arrête tout de suite : je le mérite amplement.

J'ai fait des choses dans ma vie, des choses que je n'ose prononcer à voix haute. J'ai tué, torturé, violé. Oui, violé. Je me dégoute en écrivant cela, mais c'est la vérité. Et tu te souviens de ce que disait Maman quand nous étions petits : ne jamais perdre de vue la vérité.

Tu te demandes sans doute comment j'ai pu faire des choses aussi atroces. Eh bien, aussi fallacieuse que soit cette excuse, je l'ai fait pour notre pays. Je l'ai fait pour notre armée et pour la gloire de notre nation. Du moins c'est ce que je pensais. J'ai intégré le Secret du Roi, cabinet d'espionnage secret de notre Alpha Suprême pour cette raison. J'ai exécuté toutes mes missions avec succès pour cette raison. Mais aujourd'hui je ne sais plus. Tout perd son sens. Mon chef refuse de me laisser arrêter, et va même jusqu'à me menacer pour que je continue. Et tous ces gens qui souffrent par ma faute... Mes victimes, leurs proches, leurs familles... Est-ce qu'ils méritent ça ? Tout ça car ils sont nés sur le territoire opposé. Est-ce vraiment une raison suffisante pour briser des vies ? Plus le temps passe plus je pense que non. Mais j'ai beau m'en vouloir et me repentir, je sais qu'il est déjà trop tard pour le salut de mon âme. Cela me hante. Dès que je ferme les yeux, je vois le regard de ces hommes que j'ai tué et de ces femmes dont j'ai gâché la vie. Si tu savais comme la culpabilité me ronge. Je le sens prendre possession de mon corps et grignoter mon âme. Je ne serais bientôt plus capable de la supporter... Je la ferais cesser, d'une manière ou d'une autre.

Ne sois pas triste s'il-te-plaît, je ne le mérite pas. Mon plus grand regret est sans doute de ne plus être digne de ton amour. Mais il est trop tard pour les regrets.

Ma prochaine mission est de capturer deux colonels du clan ennemi. Je les ai déjà affrontés. Ils sont doués. Ils sont forts. On me demande de les briser. Ils veulent que je les recrute et les torture s'ils refusent. Mais ce n'est qu'une excuses. Jamais ils n'accepteront, mes supérieurs le savent bien, moi-même je le sais. Et tu sais le pire ? Ils sont âme-soeurs, et mes chefs veulent que je me serve de ça. Deux hommes âmes-soeurs, si tu avais vu leurs mines dégoutées quand ils ont évoqués cela...

Je vais mener cette mission à bien, car les enjeux sont trop importants pour que je refuse, mais je ferais en sorte que ce soit la dernière, par tous les moyens.

Je n'en peux plus d'être un monstre.

Malgré tout cela, ne doute jamais de mon amour pour toi. C'est la seule chose dont je suis encore sur à présent.

Adieu ma soeur."

Je froissai la feuille et la jetai à terre, en larmes. Je pleurais. Je hurlais.

Notre patrie. Notre clan. Notre famille.

Ils étaient censé nous protéger et ils avaient détruits mon frère.

Comment peut-on faire cela à des personnes ?

Mes larmes ne pouvaient s'arrêter. Et vous savez le pire ? Les traces de larmes séchées sur le papier à lettre, signe que mon frère pleurait quand il l'a écrite.

____

Petit chapitre du point de vue de l'"ennemi".

Les visions manichéennes sont erronées.

Le blanc et le noir n'existent pas dans un conflit.

Il y a des pots cassés des deux cotés.

Bienvenue dans la grisaille :3

Et si jamais vous vous demandez pourquoi Mino n'a pas dit à sa soeur qu'il a fait tout ça pour la protéger, c'est car il ne veut pas qu'elle se sente coupable de ses malheurs. Il préfère qu'elle le déteste, sachant qu'il est mort, plutôt qu'elle passe sa vie à se dire qu'elle est responsable des de la souffrance de son frère, même si ce n'est bien sur pas de sa faute.

Bisous bisous.

Our pain [TK] *・。Où les histoires vivent. Découvrez maintenant