Chapitre 6 : Le poids du passé

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Feeldy s'est retrouvé pris au dépourvu. Il ne savait pas vraiment quoi penser de cette décision hâtive. C'est certainement la raison pour laquelle il n'a pas cherché à réfléchir un instant de plus, il s'est contenté d'écouter son cœur.

Il ne pouvait pas l'expliquer, il ne pouvait que le ressentir. Rien ne justifiait son départ soudain aux cotés d'une inconnue toute frêle, qui ne savait pas vraiment où elle allait. Une inconnue totalement désemparée, qu'il ne pouvait abandonner.

S'il avait su braver ce sentiment d'abandon depuis son plus jeune âge, il n'aurait pour autant souhaité à personne de ressentir la même chose. Il savait à quel point la douleur était intense, qu'importe les circonstances.

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Feelys et Feeldy continuèrent leur route ensemble. Même s'ils ne savaient pas encore où elle les mènerait, ils étaient tous les deux, c'était le plus important et surtout rassurant.

Dans cette route de l'inconnu, une complicité s'est installée pour rythmer leur aventure. Il ne leur a fallu que très peu de temps pour qu'une amitié grandissante les conduise sur l'autoroute de l'Amour.

Ils avaient trouvé l'un comme l'autre ce quelque chose qui leur avait toujours manqué. Cet amour, auquel ils avaient dû renoncer dès leur plus jeune âge : l'amour d'un parent.

Ils n'avaient pas vécu la même histoire, mais ce manque faisait parti d'eux, même s'ils ne s'en étaient jamais rendu compte, et n'en doutaient pas une seconde. C'est d'ailleurs ce manque qui les a bel et bien conditionné, emprisonné.

Il les a forgé pour le meilleur comme pour le pire. Malheureusement, ce soit-disant « meilleur » n'était que l'apologie de leur vie. Partant de sa quintessence, ils n'ont cessé d'idéaliser ce manque en brodant chaque événement marquant de leur vie.

Dans cette spirale infernale, ils étaient voués à vivre une vie dans les bas fond des eaux troubles de cette pièce artistique. Seule une prise de conscience les aiderait à remonter à la surface, pour un jour, espérer quitter ces broderies vides de sens.

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Si Feelys s'était livrée à coeur ouvert dans son moment de faiblesse, elle reprit rapidement ses esprits. Elle savait ce que l'amour lui avait fait et restait très méfiante à son égard.

Elle était à présent persuadée que l'amour était le plus grand complice de la mort. Vicieux, il viendrait la frapper et la piéger comme dans le passé. Il l'entraînerait encore une fois dans les ténèbres, pour tenter de l'éloigner de ses rêves.

Alors elle décida d'aimer avec précaution, en limitant cette dose de passion. Elle s'était résolue à laisser la porte de son cœur entrouverte, de façon à pouvoir la refermer au moindre courant d'air.

Ainsi, elle ne se laisserait pas piéger à nouveau. Elle avait besoin d'avoir le contrôle total sur le fonctionnement de son cœur. Il n'était plus question que son cœur décidé par lui même. Il était bien trop naïf et risquerait de la mettre en danger.

En prenant le contrôle et en restant sur ses gardes, elle pourrait refermer cette porte à tout moment. En la laissant seulement entrouverte, personne n'aurait le temps de la blesser avant qu'elle puisse la refermer. Tout était question d'organisation.

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Plus le temps passait, moins Feeldy comprenait l'attitude de Feelys. Il pouvait ressentir par moment l'intensité de cet amour, et le voir disparaître quelques minutes plus tard sans explications.

C'était comme si il y avait un quota d'amour à ne pas dépasser, sous peine qu'il n'y en n'ait plus assez pour le lendemain. Il fallait respecter la dose, rien de plus, rien de moins.

Une attitude qu'elle traduisait par des prises de distance inexpliquées. Intrusives, elle surgissait de nul part pour venir plomber l'ambiance sans raison. Une distance qui installait un froid glacial, à la vue de situations totalement paradoxales.

Feeldy ne savait pas sur quel pied danser. Il l'aimait passionnément et avait fait de nombreux sacrifices pour elle. Dès le départ, il s'était résolu à écouter son cœur, chose qu'il n'avait pas fait depuis bien longtemps.

Il s'était protégé depuis de nombreuses années, en s'adonnant uniquement à des frivolités. C'était pour lui un moyen de profiter de sa vie, sans pour autant à nouveau être blessé. Il s'était contenté de répéter qu'il n'avait aucune envie de s'attacher.

C'était bien plus facile que de dévoiler sa réalité. Il n'y avait pas de fragilité dans sa personnalité, c'était comme ça que la vie l'avait forgé. Alors parler de sentiments profonds ne faisaient pas parti de ses discours.

Après tout, ce n'était pas dans cette ambiance qu'il avait grandi. Pour être un homme, il fallait être dur et fort, pas de sentiments apparents. Sinon, c'était un signe de faiblesse qui lui ferait perdre en crédibilité.

C'est ce qu'il a pu expérimenté en observant son père, totalement désemparé face au départ de sa mère. Il avait été dur et fort toute sa vie, à l'exception de ce jour, où il a commencé à sombrer dans la pénombre.

Depuis ce jour, Feeldy en a voulu à sa mère. Elle était partie en laissant son père derrière elle. Elle n'avait pas pris le temps de se retourner, s'assurer qu'il pourrait se relever.

Malgré son jeune âge, il savait que la décision de sa mère n'était pas sans raisons. Pour autant, tout ce qu'il voyait, c'était la déchéance de son père.

Elle était partie et les avaient abandonné.
Elle était partie, sans se retourner.
Son père était tombé, blessé,
N'arrivait plus à se relever.
Elle l'avait brisé.

C'était tout ce qu'il voyait de ses yeux d'enfants. Mais il n'avait jamais vu, le nombre de fois que sa mère était tombée, maintes et maintes fois s'était blessée, mais s'était toujours relevée, en silence.

Il ignorait qu'elle était plus que brisée, car elle hurlait sa douleur en silence, de jour comme de nuit. Il ignorait, que ce départ silencieux était le cri le plus puissant qu'elle venait de pousser.

Il ignorait, que sa mère venait de prendre la pire décision de sa vie, pour sauver une vie...

Le rêve de FeelysOù les histoires vivent. Découvrez maintenant