Le rêve de Feelys

Chapitre 8 : Le tableau infernal

Feelys rêvait de vivre dans cet autre monde depuis toujours. Ce monde qu'elle avait idéalisé tout au long de ces années devait devenir sa réalité.

Quoi qu'il en coûte, elle ne voulait pas se défaire de cette image. Dans ses périodes les plus sombres, c'était son refuge. Rien ni personne ne pourrait lui enlever ce qu'elle avait nourri toute une vie dans son esprit.

Elle voulait garder cette représentation de sa vie, encore et toujours. Pourtant son quotidien lui démontrait que sa vie de rêve était loin d'être la vie qu'elle était en train de mener.

Mais elle tentait sans cesse de s'en persuader, à tout prix. Après tout, c'était ce dont elle avait toujours rêvé.

À chaque difficulté ou contrariété, elle avait appris à entretenir des scénarios inversés dans sa tête : « Tout irait toujours bien dans le meilleur des mondes. »

Elle refusait d'affronter la réalité sans même s'en rendre compte. Son esprit et son cerveau n'étaient pas prêts à affronter cette vérité. Elle avait peur, elle était effrayée.

Elle préférait s'abandonner à ces images qui la ramèneraient toujours à cette vie idéale qu'elle avait ancré dans son esprit depuis son enfance. C'était bien plus simple et moins éprouvant.

Mais ce dont elle ne se rendait pas compte, c'est qu'elle projetait ses idéaux dans la vie réelle malgré les circonstances, les conséquences. Elle se mettait en danger, à chaque fois un peu plus.

Si les petites contrariétés du quotidien ne dérangeaient pas son univers, celles qui prenaient plus d'ampleur méritaient d'être bannies du paysage.

Elles n'avaient pas de place sur ce tableau parfait qu'elle avait pris soin de peindre dans le temps. Alors elle se contentait de faire le nécessaire pour les supprimer, faire comme si elles n'avaient jamais existé.

Après tout pourquoi tant de gâchis sur un si magnifique tableau qu'elle avait pris le temps de peindre toute sa vie ?

Ce tableau n'avait pas de prix. C'était celui qui avait le plus de valeur à ses yeux, et personne ne devait s'en approcher. C'est grâce à ce tableau qu'elle avait survécu à toutes les épreuves de sa vie.

Quiconque tenterait de s'en emparer s'attirerait les foudres de Feelys.

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Ce qu'elle ignorait, c'est que ce magnifique tableau recouvrait un précédent tableau qui avait une toute autre allure. Une pièce qu'elle s'était empressée de ranger dans un tiroir dès le plus jeune âge.

Un acte, qui l'a fait courir à sa perte et qui la consume à petit feu chaque jour de son existence.

C'était un tableau bien trop sombre. Le genre de pièce artistique qui ne faisait pas partie de sa collection. Il était rempli de traits ténébreux, et ne lui inspirait aucune confiance.

Elle n'a jamais pu le regarder ce tableau. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle elle est partie, sur un coup de tête. Tout ce qui lui rappelait cette œuvre qui n'était pas la sienne, devait disparaître.

Alors elle partait, elle courait, se cachait et s'enfuyait. Son départ précipité à la poursuite de ses rêves n'était rien d'autre qu'une fuite dans la précipitation.

Alors qu'elle comptait vivre un compte de fée, elle s'était retrouvée piégée, encore une fois, au milieu de ce tableau angoissant. Elle ne le savait pas pour autant, mais sa mémoire le lui rappelait constamment.

Des souvenirs remontaient à la surface, des douleurs envahissaient son corps comme pour la première fois. Elle ne savait pas ce qu'il se passait dans sa tête et elle n'avait pas envie de le savoir non plus.

Tout ce dont elle avait envie, c'était de quitter ce tableau à tout jamais. Elle n'en voulait pas, elle n'en voulait plus. Elle s'était résolue à ne jamais en parler et le laisser au fond de ce tiroir, bien caché, condamné.

Il n'avait pas à être découvert et elle ferait comme s'il n'avait jamais existé. Après tout, c'est ce que tout le monde avait toujours fait : faire comme s'il ne s'était rien passé en gardant le silence, pour tout, à jamais.

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A cet instant, elle n'avait pas encore conscience que son idéal de vie n'avait absolument rien d'un rêve...

Elle ignorait totalement, qu'elle vivait un cauchemar éveillé depuis des années : la fuite de sa propre vie.

***

Mais arriva ce fameux jour, celui qui bouleversa son existence. Si Feelys s'était assurée de fermer ce tiroir à double tour en le laissant perdu au milieu des décombres, l'improbable se produisit.

La réalité la rattrapa, pour la faire sombrer dans ses pires souvenirs... Elle avait rouvert ce tiroir par inadvertance. A vrai dire, ce n'était pas la première fois que ça lui arrivait.

Plusieurs fois dans sa vie, certaines personnes l'avait poussé à le rouvrir à son insu, et plus encore. Elles ressortaient à chaque fois ce fameux tableau à la surface, celui qu'elle avait mis tant d'énergie à faire disparaître.

La situation pouvait être incontrôlable. Elle sentait l'approche du danger : on tentait de lire les traits sombres de ce tableau qui ne devait pas être lu. Alors c'est la raison pour laquelle elle avait décidé de se protéger.

Elle avait refermé à nouveau ce tiroir, mais cette fois, en l'ayant cadenassé. Et pour s'assurer que personne ne puisse être tenté d'en forcer l'ouverture, elle avait fait un choix radical : tourner le dos à toutes les personnes qui tenteraient de s'en approcher.

Personne n'avait à approcher ce tiroir, personne. C'était la règle, depuis toujours.

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Pendant de longues années, ce tableau était resté enfermé, sans jamais revoir le jour. Il était devenu poussiéreux, presque tombé aux oubliettes.

Mais un beau jour, Feelys fut prise par surprise. Une personne vint bouleverser son quotidien en rouvrant ce tiroir cadenassé. Il y avait un autre tableau ténébreux à condamner...

Dépossédée de ses moyens, Feelys perdit le contrôle de la situation, de ses émotions. Le monde venait de s'écrouler autour d'elle. Son tableau noir, ce terrible fardeau venait de lui exploser à la figure.

Pire encore, un autre tableau venait s'ajouter à la liste. Elle avait pourtant toujours tout fait pour s'assurer qu'il n'y ait qu'un seul tableau noir, le sien. Elle avait failli : il y aurait un autre tableau à condamner dans ce tiroir.

Ce qu'elle ignorait, c'est que ce nouveau tableau n'allait pas être rangé à côté du sien. Il serait accroché à la lueur du jour contre l'avis de tous. Il viendrait salir ces murs si parfaits, cette maison si ordonnée.

Ce qu'elle ignorait, c'est qu'un tsunami était en train de se préparer : elle devrait affronter sa propre réalité ou sa vie se transformerait en un véritable cauchemar.

Ce qu'elle ignorait, c'est que sa fille, deviendrait son pire cauchemar...