Ce premier chapitre risque d'être un peu long (900 mots, oups) mais comme je ne compte pas faire tellement de segments par la suite, je trouvais ça important de développer les côtés les plus basiques du personnage avant de me lancer dans l'histoire en elle même ! Ne vous découragez pas, bonne lecture !
Un soleil brûlant trônait dans le ciel sans nuages qui surplombait les paysages montagneux des Alpes. À l'intérieur de la Peugot 309 de mon père, épave au capot enfoncé et aux jantes rouillées, la clime avait cessé de fonctionner. En plus de la chaleur s'ajoutait le tressautement incessant du véhicule, causé par le chemin rocailleux que nous étions en train d'emprunter. Un silence de mort régnait dans la fournaise qu'était devenue la voiture, mon père refusant de m'adresser la parole et moi n'osant pas ajouter à sa colère en protestant à propos de ma situation.
Nous étions en chemin vers l'institut pour jeunes garçons Jules Ferry, le seul établissement qui acceptait de me recevoir. Là bas m'attendaient une éducation des plus strictes, ainsi que des camarades de classe tyranniques et aucun accès au monde extérieur. J'avais été jugé comme sujet à des "excès de violence envers les autres étudiants", suite à une dispute qui avait mal tourné, et je ne pouvais donc plus fréquenter aucun établissement public. Mais je n'avais pas honte de ce que j'avais fait pour me faire renvoyer, car il avait des détails très importants à l'histoire qui n'avaient pas été pris en compte durant ma réunion avec le conseil de discipline. Certes, Louis, le garçon que j'avais envoyé à l'hôpital avec une côte cassée, ne méritait peut être pas une punition si sévère. Mais il faut aussi savoir qu'il me terrorisait, et faisait de ma vie un enfer en baissant mon pantalon, m'enfonçant la tête dans les toilettes, et en m'enfermant dans le vestiaire des filles, entre autres. En un sens, j'étais heureux d'avoir quitté mon ancien lycée, parce que là bas tout le monde me voyait comme une victime, et maintenant en plus comme un agresseur, mais je savais que ma vie n'allait pas être plus facile à Jules Ferry, loin de là.
Mon père aussi était indigné de mon envoi dans cet établissement, mais pour une toute autre raison : il aurait préféré que j'aille à l'école Sainte Anne, un lycée privé, catholique, et réservé aux filles. Pour lui, j'étais toujours Charline, la gamine qu'il avait élevé puis abandonné dès qu'il eût remplacé ma mère par une femme plus jeune. Mais Charline était morte il y a des années, remplacée par Charles, le garçon que j'avais toujours été au fond de moi. En général, les gens ne remarquaient même pas que j'avais transitionné : j'avais commencé à prendre des hormones très tôt, avant même l'arrivée de ma puberté. Je n'avais donc pas de poitrine, et sur mon visage, certes un peu féminin, mes sourcils s'étaient épaissis, et mes traits endurcis. J'étais heureux de ne pas avoir eu à endurer les mêmes épreuves que d'autres hommes transgenree, et d'avoir eu une mère aimante et tolérante à mes côtés pour m'aider dans ma transition. C'était elle qui s'était battu auprès de la mairie pour que mes pronoms et mon nom soient changés, et dès le premier jour où je lui avais révélé mon identité, elle m'avait emmené en ville pour m'acheter des vêtements. "Un homme aussi magnifique que toi a besoin d'un beau costume !" Avait elle dit. Mais un jour, la police était arrivée à notre porte, avait embarqué ma mère, et m'avait laissé seul. Ses papiers n'étaient plus en règle, et ils avaient dû la renvoyer en Roumanie, pays qu'elle avait fuit il y a des années pour pouvoir m'offrir une plus belle vie. Par la poste, je lui avais envoyé le petit costume en tweed qu'elle m'avait acheté ce jour là, en guise de souvenir, et depuis nous nous écrivions chaque semaine.
Ma garde avait, après son départ, été accordée à mon père, et la belle vie que je menais avec maman ne fut plus qu'un lointain souvenir. Tous les soirs, il rentrait dans le petit appartement miteux dans lequel nous vivions, engloutissait des litres et des litres d'alcool, et m'ordonnait de faire le ménage, la lessive et la cuisine, car "là était la place d'une femme dans un foyer". Il me fit scolariser dans le lycée du quartier, réputé pour son taux de faillite aux examens, et le reste, c'était de l'histoire.
Après avoir tressauté une énième fois à cause d'un autre nid de poule, nous arrivions devant les grandes grilles de métal qui séparaient l'institut Jules Ferry du reste du monde. Mon père sortit de la voiture, et appyua sur le bouton jauni qui était accroché au mur de béton qui entourait l'établissement. Après quelques secondes, elles s'ouvrirent dans un grincement affreux et nous nous enfonçâmes dans un parc de sapins, qui rappellait l'ambiance des vieux films d'horreur. Une fois arrivés au bout du sentier, nous pûmes apercevoir le bâtiment dans son entièreté : il s'agissait d'une espèce de grand manoir, fait de pierre et de bois, dont les facades noircies par le temps étaient lacérées de lierre et d'autres plantes que je ne reconnaissais pas. Taillé dans le grès, au dessus de l'entrée principale, on pouvait lire "Institut pour jeunes garçons Jules Ferry". Le bâtiment imposant semblait tellement stéréotypé que j'avais l'impression d'être l'objet d'une mauvaise blague, qu'on m'avait traîné sur le plateau de tournage d'un des films de la Hammer Film Productions, un producteur de films d'horreur très clichés que ma mère et moi aimions regarder pendant les soirées pluvieuses. Je descendis de la voiture, pris ma maigre valise, et, suivi de mon père, entrais dans le bâtiment.
![](https://img.wattpad.com/cover/156189905-288-k424575.jpg)
VOUS LISEZ
Charles Dumet
Teen Fiction"Je crois que la beauté des choses se trouve dans leurs détails. -Fais gaffe, tu deviens romantique" C'est l'histoire de deux garçons, dont la compagnie l'un de l'autre leur permet de survivre dans l'internat de l'institut pour jeunes garçons Jules...