L'énigme

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Quand Matt fut enfin rétabli et relâché par Lilianne, l'infirmière que nous avions fini par connaître tant nous passions du temps dans son bureau, nous recommençâmes à faire nos balades journalières dans le parc. Il ne restait que deux jours avant la rentrée, et nous comptions bien profiter de tout le temps que nous pouvions passer ensemble, loin des autres élèves. C'était lorsque nous étions dans le réfectoire que les regards des garçons étaient les plus durs à supporter. Tandis que certains clamaient vouloir voir dans mon pantalon pour "vérifier si j'étais vraiment une fille", d'autres réclamaient "une autre scène de ménage". Nous essuiyons les remarques, mangions le plus vite possible et ressortions dehors pour papoter encore un peu. Depuis l'incident de la cantine (nous le qualifions comme tel, car c'était toujours un sujet un peu sensible pour nous deux), nous parlions de tout. Lui du garçon avec qui il avait été vu, qui avait préféré changer d'établissement par peur du jugement, et moi de la raison de mon renvoi du lycée, et par la même occasion de l'enseignement public. Il me parlait de ses expériences en tant qu'homo, et moi des miennes en tant que trans, et nous nous apportions du réconfort à travers nos épreuves partagées. On se faisait part de nos doutes, de nos peurs, et peu à peu on se rapprochait encore plus l'un de l'autre, friands des mots de chacun et curieux de savoir quelle autre anecdote on pourrair découvrir sur lui. Je me surpris à me poser des questions sur mes sentiments, chose que j'osais rarement faire par peur d'où cela me mènerait. En même temps, l'idée de partager quelque chose de plus que de l'amitié avec Matt me semblait une idée plaisante, mais aussi encore une chose de plus à porter sur mon dos : être trans et gay, pour certaines personnes, ce serait comme si j'étais juste une fille hétéro qui recherchait de l'attention. Je me sentirais encore plus exclus, et je n'ose même pas imaginer la réaction de mon père. Mais à chaque fois que j'abandonnais l'idée, que je me disais que je ne ressentais rien pour lui, il m'assommait encore une fois avec son sourire lumineux, ou avec son regard amusé, ou encore avec la couleur si particulière de ses cheveux. Matt était mon énigme, et il me tardait de la résoudre.

Charles DumetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant