1. À ma destinée, (1)

278 31 96
                                    

L'univers.

Bien, bien au delà du plafond rose pâle délavé de ma chambre.

Voilà une Terre entière, une populace de plus de sept milliards de mes semblables et mes fins de journées ne connaissaient plus qu'une longue médiation face à ce plafond craquelé, seule devant les fêlures de sa peinture rouillée, pensive.

Voilà déjà trois longues et éreintantes années achevées dans le trou maudit qu'est Treasure Falls ainsi que trois étés consécutifs dans ma maison donc exactement deux-cents soixante dix-neuf soirs à réfléchir à mon foutu destin ici.

Je m'applaudis intérieurement de ce pathétique exploit, puis poussai un soupir amer.

Penser fort que cette vie morne ne sera pas la sienne n'a jamais été une solution. Et se fondre dans des fantasmes plus heureux à travers ces fichues bouts de peinture rose arrachés ne les rendra jamais réalité.

La sensation de perdre mon temps et ma jeunesse reflua en moi. Mais qu'avais-je d'autre à faire ?

L'attente est un supplice.

Je me levai et traînai jusque devant ma fenêtre. Je caressai du bout des doigts l'attrape-rêve accroché à cette dernière, sentis la douce et rassurante étreinte de ses plumes lilas. J'étudiai la façon exquise dont les rayons dorés du soleil qui arrivaient à s'évader de la masse compacte des nuages venaient épouser son galbe rond, ses plumes délicates, puis levai les yeux vers l'extérieur.

Cela ne m'était plus très surprenant de sentir cette virulente sensation de répulsion s'emparer de mes gonds face au spectacle austère qui s'étendait devant moi, car cet endroit n'appartiendra bientôt qu'à mon passé. Cette ville de misère sera purgée dans l'oubli.

Ma mère me disait souvent qu'en vérité, le bonheur n'était pas un objectif. Elle me disait que le destin était scellé, incontrôlable.

Mais, ma seule vérité à moi était que je ne croupirai jamais à Treasure Falls. J'emmerde le destin, et si ça ne suffisait pas, je mettrai fin à mes jours avant d'atteindre la trentaine ici. Au moins, j'étais persuadée que ma moue légendaire, mes superbes crises d'adolescence  et ma merveilleuse hostilité envers la large majorité des habitants de ce trou à rats ne manqueraient à personne.

Et même si j'étais consciente d'être affreusement exécrable quand je pensais ainsi, je me connaissais, moi et ma tête de mule; les chances que quelqu'un ou n'importe quelle chose puisse dévier mes projets personnels étaient quasi-nulles. Pas une seconde fois.

Un énième soupir las m'échappa, je fermai les yeux un instant et me décidai finalement de sortir afin de profiter des derniers relents du crépuscule et évacuer toute cette nuée de pensées noires. En me dirigeant vers la porte, j'ignorai mon reflet sur ma grande glace, laissant l'état douteux de ma face au suspens. À part quelques bêtes inoffensives de la forêt adjacente, personne n'aillait pleurer du sang en me voyant. En passant par le corridor exigu du premier étage, je m'arrêtai à la porte d'Irvin et y collai mon oreille.

Que dalle, aucun bruit. Crotte alors. Je ne voulais pas qu'il me voie sortir, au risque de me faire suivre par lui.

Au moment où je m'apprêtais à m'élancer à sa recherche, un énorme cri strident, saturé de rage, déchira l'air. Je bondis de stupeur sur place et me cognai l'annulaire sur la poignée de la porte, jurant très fort à mon tour.

— Irvin, enfoiré ! gueulais-je en abattant un violent coup de pied sur sa porte. Crie encore comme ça et je t'enfonce ta foutue Xbox dans ton foutu trou de balle !

Cela n'avait techniquement aucun sens, mais passons.

— F-ferme là. Dégage de là, Daire !

Merde, le môme a osé. J'inspirai un grand coup, puis expirai lentement en relâchant mes poings serrés. Je m'éloignai avant que ma colère ne l'emmène sur mon envie de vivre un moment paisible en forêt.

En bas, j'eus vite constat que ma mère n'était toujours pas rentrée. Un peu logique, car elle n'aurait pas manqué de bien réagir face au terrible boucan qu'on venait de pondre. Occultant le soupçon de nostalgie qui tilta en moi, je troquai rapidement mes chaussons velouteux de petites têtes de chats siamois contre mes Tom's blanches — qui, visiblement, avaient sérieusement besoin d'un coup de polissage avant la rentrée — et piochai la vieille doudoune rouge de ma mère du porte manteau près de la porte.

Dehors, il faisait aussi froid qu'humide. Dans l'air flottait la rance odeur du début morose de l'automne; chute de feuilles d'arbres, nuages pluvieux et compagnie. L'odeur de la terre enlaça amoureusement mon nez et un sourire oblique vint machinalement étirer mes lèvres.

Le contraste entre le triste ciel argenté et le vert prude et prenant des hauts pins typiques de Treasure Falls était fascinant. La Brume n'était qu'à ses débuts, stagnant dans l'atmosphère, vicieuse, mais pas assez opaque pour me retenir d'y aller. Alors, sans plus d'attente, je filai droit, et m'engouffrai sans scrupule dans l'épaisse masse verte des bois.


⚡️⚡️⚡️

Bonsoir, bonsoir.
Ce premier chapitre arrive plutôt que prévu.
Est-ce que ça vous a plu ? Si oui, ou non, n'hésitez pas à le dire. J'accepte toute critique, dans les limites du respect, bien sûr.

Daire est quelqu'un d'assez pessimiste, oui. Soyez juste patients, et n'hésitez pas à partager. 😊
Bonne soirée à tous🖤

L'Univers & MoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant