5. Inception (2)

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Le trajet vers Northlake High fut aussi court qu'angoissant. Ma mère commit l'erreur d'omettre d'allumer la radio ce matin pour parler à Irvin, qui lui, semblait péter l'enthousiasme. Allergique aux excès de joie débiles de mon frère et à la conversation bruyante de celui-ci et ma mère, je m'efforçais de restreindre toute envie de me taper la tête contre cette vitre tenante, au prix d'un effort important.

L'amusement mêlé de surprise me saisit en voyant mon reflet dans le rétro. J'étais sûre que si quelqu'un me regardait en face aujourd'hui, il finirait en morceaux. Mes yeux sombres et assassins étaient franchement flippants, m'amusais-je pour moi même. J'avais le visage concluant de la petite peste dans Charlie et La Chocolaterie, en version rousse et bien moins innocente.

Heureusement, maman et Irvin avaient fait le judicieux choix de m'ignorer et de me laisser ruminer dans mon coin. Mais en même temps, l'envie de me défouler sur eux me titillait, cela m'embêtait quand même d'être complètement oubliée. D'être une rageuse privée de son déferlement.

Le bâtiment rustique en briques acajou de Northlake High finit par se dresser au delà des pins adjacents, puis vint apparaître l'espace en face de l'entrée, où je pus distinguer la foulée d'étudiants se dirigeant pour la plupart vers les battants double de l'entrée intérieure.

Cet endroit n'avait pas changé d'un iota, parfaitement conforme à mes souvenirs. Le même portail extérieur en fer rouillé concédant un style d'internat, même statue au centre de l'espace de Gira Ymir - l'un des plus importants fondateurs de la ville - avec une partie du crâne et la fesse gauche manquantes, même peinture tristement verte et rouge, toujours aussi délabré et maussade, en harmonie avec la masse grise le surplombant au ciel.

Bientôt, ma mère s'engagea sur la piste rocailleuse devant l'imposante porte extérieure et me déposa directement en face des portes-doubles de l'entrée, avant de déguerpir aussi vite qu'elle m'eut déposé pour amener l'autre bouffon.

L'appréhension me nouant sauvagement les entrailles, je franchis le portail imposant.

L'édifice rocambolesque se dressait haut et perché vers moi, semblant vouloir m'accueillir dans son piège. Puis me dévorer.

— C'est plutôt moi qui vais dévorer quelqu'un de mon humeur, aujourd'hui, soupirais-je pour moi même.

— Drôle de résolution, fit une petite voix enjouée dans ma gauche. Tu rentres déjà déterminée à manger des tables.

Je me retournai, cachant à moitié ma joie dans un sourire en coin diabolique.

— Toi...

Je me retournai et enlaçai assez cordialement celle-ci, qui finit par éclater de rire dans mes oreilles en serrant notre accolade.

— Joyeux... marmonnais-je en m'écartant de Sydney. Où sont les autres ? Tu as vu Mona ?

— Nan. Ils sont pas encore arrivés, je crois.

Sydney et moi étions arrivées donc très tôt, malgré la foule d'étudiants déjà présents.

Celle-ci, pourtant, avait bel et bien changé depuis l'année dernière. En pire — du moins du côté de son physique, notais-je en examinant ses traits tirés de fatigue, son teint encore plus blafard que d'habitude et ses épaules presque voûtées. Ses cernes avaient creusé un puits sombre sous ses yeux en amande cristallins, je devinais qu'elle avait désespérément tenté de les cacher par une tonne d'anti cernes, mais cela avait assurément échoué à mes yeux de rapace. Une petite bouche peinte de mauve, ainsi qu'un os saillant qui creusait un sillon tranchant le long de ses joues. Son long nez avait presque doublé de volume, et ses sourcils semblaient plus fins et mieux dessinés que l'année dernière, telle une lame de faucheuse. Putain, elle faisait peur à voir.

Mais même frêle et chétive, elle n'avait en rien abandonné ses vêtements punk et atypiques, plaisants à mes yeux. Toujours aussi loyale à son large capuchon illuminati, et son morceau de tissu exigu lui servant de mini-jupe à carreaux. Mais ce choix vestimentaire ne mettait que très peu en valeur ses jambes plus fines que deux allumettes couvertes par des bas opaques; ces derniers disparaissaient dans une paire de chaussons grenats, dont j'étais à peu près fan.

En plus, un piercing cuivré était planté dans sa narine droite, et je ne pouvais nier que j'adorais. Si seulement ma mère me laissait en avoir...

L'envie me taraudait de lui demander la cause de ce changement esthétique aussi radical qu'effrayant, mais mon instinct me commanda de me retenir. Ce n'était pas mes affaires, après tout.

— Comment t'es arrivée aussi tôt, tiens ? s'enquit mon amie tandis qu'on trottait en silence vers l'entrée.

— J'adore le lycée ! m'extasiais-je d'ironie.

Syndney se rembrunit visiblement. OK, je devais donc faire un effort dans cette conversation des plus accommodes ? Non, ça ne collait juste pas entre nous lorsqu'on étaient que toutes les deux, sans les autres. Et je n'avais aucune envie d'en savoir plus sur son croustillant voyage à Puerto Rico, tandis que je croupissais entre temps avec Mona ici. J'étais certainement une rageuse jusqu'ici, mais cela m'était égal.

Je choisis donc de plutôt m'entretenir avec les arbres qui eux, m'épargnaient cette anxiété tonitruante qui insistait de trouver quelque chose à dire.

Les portes du lycée outrepassées, mon amie finit par s'en aller en marmonnant des excuses que j'entendis à peine, me laissant à ma moelleuse solitude.

Le cerveau nébuleux et la tête lourde d'anxiété, je filai péniblement entre la marée étudiante qui déferlait, tous aussi échevelés que moi. Me sentant criblée de yeux, j'avançais tête baissée, évitant de croiser ne serait-ce qu'un regard. Je ne me retournai même pas quand je percutai quelqu'un en plein fouet assez violemment, et continuai mon chemin vers la liste des classes, en me massant l'épaule dolente.

— Fais chier ! grognais-je en recevant une pique de douleur quand j'appuyai sur mon épaule, arrivant enfin devant la liste des classes.


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Bonne soirée à tous,

Lila

L'Univers & MoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant