Helena était une fille très craintive. Pour elle, toutes les actions semblaient risquées au plus haut niveau. Lors de la mort de Loki, la jeune femme s'était souvenue de ses avant-gardes. Elle disait que le mieux pour leur vie était d'accepter leur destin fatidique jusqu'à leur mort, sans broncher, tout en profitant des bons moments qui pourraient montrer le bout de leur nez.
Elle était arrivée il y avait de cela près de deux années. Durant ce temps, il lui avait été donné de se rendre compte d'une réalité déplaisante ; il était impossible de s'enfuir sans se faire prendre. Combien d'esclaves avaient tentés l'impossible ? Combien voyait le bout du tunnel, mais l'ont senti disparaître ? Un bon nombre, répondait-elle toujours. Contrairement à feu Victor, elle était pessimiste tandis que lui, était très optimiste. L'espoir lui faisait un mal atroce au cœur. Appréhender la souffrance jusqu'à sa fin était plus commode à accepter en son sens.
Malgré son caractère, l'esclave était très intimement liée à Éléanor qui ne cessait d'essayer de lui insuffler sa rage contre les Blancs.
" Tu sais, disait-elle, la colère nous l'avons tous en nous. Mais je ne l'exprime pas car elle peut me mener à ma perte."
Helena ne travaillait pas dans les champs comme précédemment dit, mais se consacrait aux tâches de l'intérieur de la grande habitation des propriétaires. Plusieurs fois, la négresse eût a supporter les humiliations qui lui étaient faites, ce qui était entièrement normal vu sa "peau". La maîtresse qui était française, Jeanne, et sa fille Jessica lui menaient depuis peu la vie dure lorsqu'elle le pouvaient et pour cause ; un bel entrepreneur de la haute caste qui avait semblé s'intéresser à elle. Cela était même très pathétique, car même s'il le désirait, son statut d'homme riche ne lui permettrait jamais de se lier à une esclave noire.
Alors, elles salissaient expressément le carrelage, brisaient intentionnellement des objets et renversaient du thé chaud sur ses pieds dénudés.
Lors d'une soirée-évènement, Helena s'était prise du café en pleine figure car "il n'était pas bon et à la hauteur de nos admirables invités. Ce thé n'est que très bas en qualité, il est approprié aux nègres comme vous", avait énoncé la maîtresse le sourire aux lèvres. Tous les hommes richement vêtus à ses côtés avaient explosé de rire. Ils ne virent pas les larmes dans ses yeux.
~*~
Le soir vint. Toute la communauté des Noirs se retrouva dans leur espace réservé, une cour balayé de toutes impuretés entre les diverses habitations de chaume et de bois. Les hommes avaient fait un grand feu de bois tout au centre. Les quelques enfants nés ces dernières années cherchaient des bâtons de bois, des branches et des feuilles pour alimenter l'embrasement. Les femmes disposaient des nattes tressées en cercle.
Lorsque tout fût prêt, ils s'assirent et dégustèrent les plats du soir dans le bruissement de la combustion des bois.Lorsque Maggie s'était mise à chanter un cantique aux paroles ethniques. Personne ne connaissant ce chant qu'elle venait d'inventer, mais les quelques-uns de sa région en saisissaient les traductions. Ils tapaient des pieds sur le sol sec, battaient des mains pour accompagner la belle musique.
- Que signifie ce chant ? interrogea Mario.
- On nous a enlevé à notre belle patrie
Loin de nos frères, de nos sœurs, de notre famille
Dans la souffrance et l'abnégation nous vivons
Mais nous devons garder espoir
Pour au moins notre descendance
Pour son bonheur, son bonheur
Bonheur... traduit Tom. Un très beau chant.- Il veut tout dire, tout de notre vie actuelle.
- C'est peut-être cela l'idée, commença Helena, espérer pour le futur mais pas pour nous... C'est impossible.
- Victor t'aurais remis à ta place, se moqua un homme parmi eux.
Ils se mirent à rire de leurs situations à chacun, comme s'il ne s'agissait que de vagues épisodes différents de la tragédie perpétuelle, quelques petites tâches à la beauté de leur vie.
- Moi, j'ai une histoire à vous expliquer concernant mes anciens patrons, commença un homme quelque peu mur et âgé nommé Thomas. Déjà, autant vous dire que j'ai beaucoup changé de propriétaires et monsieur Winchester n'est que le troisième. Chez mon premier patron, monsieur William Blore, je m'occupais des chevaux et du bétail. Et tout allait bien, je vous assure ! Mais le souci, la cousine germaine de la fille à mon patron est tombée amoureuse de moi.
- Ooooh ! firent les autres en chœur.
- C'est vrai que tu es plutôt beau gosse !
- Elle descendait toujours me regarder m'occuper de ses chevaux et un jour, tenta de m'embrasser. Je vous assure, j'aurais dû être stratégique ! Peu importe si j'allais jouer avec ses sentiments. Elle m'aurait aidé à m'évader...
- Tu es sûr de tout ce que tu dis ? Une blanche qui aime un noir ! On en a besoin ici, ricana Eleanor.
Ils éclatèrent de rire.
- Vous imaginez cette sorcière de Jessica amoureuse d'un noir ? Même pas en rêve ! s'exclama Hercule. Et son père ferait vite de tuer l'inopportun.
- Et que s'est-il passé ensuite ?
- Le maître nous a aperçu ensemble. Il est entré dans une fureur noire et, dès que quelqu'un lui a proposé mon achat, il a vite cédé. On dirait une histoire biblique, là...
- Joseph et la femme de Potiphar ? proposa Éléanor.
- Donc tu t'en rappelles toujours ? Tu es forte !
- Et oui je m'en rappelle. Ça fait drôlement longtemps que le père Will n'est pas venu ou ne nous a pas accueilli.
Le père Will était un simplet curé des terres de la Louisiane. Âgée d'une soixantaine d'années et arborant une épaisse couche de cheveux malmenés, le vieillard se tenait courbée et tout le temps accompagnée de sa canne en bois de chêne qu'il avait nommé Jacqueline. Un peu fou sur les bords, cet homme éduquait bon nombre d'esclaves à la vie de pieux chrétien. Un peu distrait étaient ces hommes, certes, mais ils aimaient se rendre à l'église les dimanches matins, y faire la messe et revenir au travail. Cela était une sorte de repos de la semaine, dans laquelle ils pouvaient être traités comme "des humains". La petite église dans laquelle il exerçait était spéciale. Aucun homme blanc, si ce n'est lui, n'y mettait le pied pour se recueillir. Le lieu était seulement empli de nègres déjà vêtus de vêtements de champ sur des bancs anciens qui résistaient néanmoins au temps.
- Vous n'avez donc pas appris la nouvelle ? questionna Tom.
- Non, que s'est-il passé ?
- Il y avait deux gardes-cercle qui discutaient de ce qui en est advenu de lui. Je les ai entendus.
- Et qu'ont-ils dit ?
Tom observa le feu avec un aspect très grave en jouant dans ses cheveux crépus. Presque sans réflexion, sans mesurer de mots non plus, il évoqua ce qu'il comprit.
- Le père Will a été assassiné et enterré je ne sais où parce que les toubabs croyaient qu'il nous encourageait à la révolte.
Sa parole eût le don de clore toutes les bouches et de passer un voile de tristesse sur toutes les faces. Le rire s'était envolé. La mélancolie revenait à nouveau, tel l'état normal qui revient au galop après consommation d'une drogue.
- Pauvre père. Il était le seul blanc à ne pas faire de distinction, à nous aimer malgré nos bêtises. Il a fallu qu'il meure pour cela. J'espère qu'il ira dans cet endroit qu'il appelle le Paradis...
- Espérons oui... admit Éléanor.
![](https://img.wattpad.com/cover/157939190-288-k138606.jpg)
VOUS LISEZ
C.N. : Sur mon Corps et dans mon Cœur [ TERMINÉE ]
Historical FictionAu matin hivernal sur le sol de la Louisiane, une nouvelle esclave foule les terres américaines et se voit aussitôt embarquée dans la propriété de Sir Winchester. Comme beaucoup d'autres nègres, elle est contrainte à supporter les injustices faites...