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La douleur physique n'était rien face à la douleur psychologique. En ces instants, sa confiance en elle s'ébranlait et elle s'en voulait. Elle pleurait de ce pathétique toubab qui lui faisait du mal et qui se croyait tout permis, elle était triste de se savoir impuissante face à ce genre de réalité déplaisante. Elle qui aurait voulu être une Amazone, le méritait-elle ? Il l'avait battu, saccagé et tué. Dans sa bouche était un chiffon pour éviter ses cris. Elle transpirait malgré le vent dans la pièce et surtout, cet homme la dégoutait.

Puis, quelques minutes plus tard, il se détacha d'elle pour souffler. Son entre-jambe lui faisait atrocement mal et surtout, le sang ayant coulé l'horrifiait.

Elle se roula sur le lit et essaya de se mettre debout malgré tout.
Et soudain, elle eût une vision. Elle en fût si marquée qu'elle tomba sur le lit, sa tête rencontrant la poitrine du jeune blond.

— C'était un beau moment ma douce... à quand la prochaine fois ?

Éléanor ne l'avait pas entendu. Elle fixait le plafond sur lequel elle voyait des lignes se tracer sur le plafond sombre, à peine éclairé par ces bougies dans la pièce. Puis soudainement, une femme en sortit.  L'esclave en fût effrayé ; elle sursauta et remonta sur le lit en étant apeurée.
Mais la dame lui dit :

— N'aies pas peur, Nika. Je suis là pour t'aider.

— Qui êtes-vous ?

— Me parles-tu ?

Elle resta muette.

— Vaut mieux ne pas me répondre. Je suis quelqu'un. Quelque chose. Toi. Je ne peux pas te laisser ainsi alors que j'ai été invoquée. Jamais. Alors je te recommande de faire ce que tu avais prévu de faire, Nika.

Cette dernière tourna la tête vers le jeune homme couchée qui somnolait déjà. Elle attendit quelques instants. Ensuite, quand elle fût certaine qu'il s'était assoupi, elle se glissa lentement sur le lit et trouva le sol. Nika serrait la mâchoire quand elle sentait la douleur, mais dans l'espérance, se traîna jusqu'à la chaise. Elle réussit à dégainer le fusil de chasse et dans une véritable souffrance se tint sur pied. Puis, lentement et le visage défiguré par la douleur, elle regagna le lit. Elle glissa son corps sur celui d'Elrod et mit l'arme sur son dos, un doigt sur la gâchette. Ensuite, elle posa ses lèvres récemment entaillées par la fougue du jeune garçon sur les siennes et l'embrassa. Il s'étonna, s'éveilla et prit plaisir, mais il devint surpris quand la main de l'esclave glissa furtivement sur son cou et se mit à le serrer.

Quand il voulut riposter, elle ne lui dit qu'une chose :

— Adieu Elrod.

Et subitement, la pointe de l'arme se retrouva sur son ventre nu, et elle appuya la gâchette. Un fort bruit dispersa ses ondes dans la maisonnée. Nika lâcha l'arme et observa le blond s'étonner, lui dire qu'elle irait en enfer, et enfin garder les yeux exorbités à tout jamais.

Elle se laissa choir dans les draps maculé des deux sangs.

— C'est terminé. Il a payé.

— Oui, c'est fait Nika, reprit la femme qui apparut à nouveau dans cette nuée de symbole.

Nika pût la détailler. Vêtue d'une robe nuancée de rouge et de brun, la mystérieuse femme avait un port altier aux pierres précieuses rouges et de longs cheveux noirs tressés. Beaucoup de bracelets ornaient ses bras et ses pieds.

— Je ne suis qu'une servante des dieux. Je suis un esprit, toi seule peut me voir. Et je veux t'aider à libérer ton peuple de cet enfer.

Subitement elle se dissipa dans l'air.
Comme si elle n'avait existé.

Sans plus réfléchir, et surtout mal en point, Nika se vêtit donc de ses habits et prit la veste au défunt qu'elle fouilla de fond en comble. Deux clefs d'argent étaient tenues indépendantes dans la poche de toile bleue, et reconnues comme étant les objets permettant l'accès au cachot, elle les prit sur elle.

Ensuite, l'esclave décida de fourrer les draps sous le corps nu et inerte et pour cela, elle le toisa rapidement et se mit au travail. Dans le même coup des bruits de pas dans les escaliers l'avaient alerté et Nina vérifiait la fermeture de la porte. Bien verrouillée.

De l'autre côté du bois massif, miss Isabelle gravissait les marches de l'escalier avec inquiétude et peur. En ce qui concerne sa vitesse, la pauvre ralentissait quelques fois, se retournant pour inspecter les lieux après avoir senti un courant d'air, et encore accélérant pour fuir une chose cachée dans la pénombre qui sûrement, n'existait pas. Une lanterne à pétrole en main, Isabelle montait vers la chambre d'Eldor, son neveu. Il lui semblait que ce son émanait de cette pièce de la maison. Ce bruit n'avait pas été assourdissant. Peut-être était-ce dû aux murs suffisamment massifs pour baisser le volume du son, mais quelque chose lui disait de vaincre ses interdits, ses suspicions et ses craintes dans la nuit noire.

"Aucun monstre ou nègre ne surgira devant toi" se répetait-elle inlassablement.

Le manche de lanterne manquait de se casser, tant elle le serrait. À un certain niveau Isabelle bascula la source de lumière vers sa main gauche, puis elle frappa à la porte.

— Eldor, quel est ce bruit ? s'enquit-elle.

À l'intérieur, Nina avait cessé tout mouvement. La jeune femme, poings serrés, cherchait une manière de faire répondre un mort. Cela n'était pas possible, et elle se savait... Donc, elle simula la voix qu'elle étouffa grâce à un drap :

— Rien.

Juste après, elle remarqua le lecteur de vielles musiques. Les albums se trouvaient dans un tiroir du bureau de feu Eldor, selon les dires de Marguerite, une esclave de ménage, qui aimait bien se moquer des goûts musicaux blancs et anglo-saxons.
Furtivement, elle tira le tiroir et en extirpa un disque au hasard. Se souvenant des gestes de Sir Winchester, elle le posa sur le lecteur et la mélodie pût traverser les murs.

— Okey, je vois. Bonne nuit mon cher Elrod, avait-elle dit en se retournant dans sa chambre.

Nika quant à elle attendit un moment puis s'enfuit à ses risques et périls ; elle eût à s'accrocher à plusieurs remparts de fenêtres, à des piliers sur lesquelles elle s'était laissée glisser pour réussir à retourner aux habitations nègres.

La lune éclairait faiblement les horizons. De la terre humide émanait une odeur caractéristique des après-pluie que Nina reconnaissait bien et en compensation, la bouse des vaches exaltait une effluve très mauvaise à respirer. Tout de même, quelques gouttes s'écraisaient encore sur leurs points de destination et se retrouvaient supportés par des mèches crépues de sa tête, par ses cils, sourcils et poils.

Elle observa obliquement la grande barrière de bois surmontés de piques de fer fermée à clefs qui enfermaient et maintenaient les esclaves prisonniers, pour empêcher toute tentative d'éloignement et d'évasion. Elle ne pouvait pas retourner prendre la clé car Eldor avait soigneusement fermé la porte arrière de l'intérieur. Et de toutes façons, on soupçonnait bien vite les pauvres esclaves si la barrière restait ouverte ensuite. Mais alors, que faire ?

Soudain lui vint un souvenir. Des jours après leur première tentative de fuite, ils avaient expliqué à leur compagne qu'elle mécanisme ingénieux avait servi à traverser la barrière. Pas l'escalade, mais plutôt un trou de plusieurs mètres creusés en-dessous, dans le côté Est. Ils ne l'avaient pas refermée et l'avaient plutôt caché sous une planche de bois que les propriétaires n'avaient pas vu comme une dissimulation.

Nika s'y rua et attira à elle la planche de bois. Subitement, le tonnerre gronda ; mais elle n'y prêta pas attention et rampa juste en-dessous de la grille.

Épuisée et surtout marchant avec une souffrance sans pareille, Nika réussit avec difficulté à arriver à sa maison. Cela fait elle s'échoua sur les planches de bois qui servaient de marches d'escaliers devant le perron et perdit connaissance.

C.N. : Sur mon Corps et dans mon Cœur [ TERMINÉE ] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant