La chambre d'hôtel avait des allures de Palais Royal. Sans le moindre complexe, elle affichait des meubles récoltés aux quatre coins du monde qui embaumaient l'air d'un parfum de richesse et d'opulence. La plaque ornant l'entrée portait l'inscription « Suite Impériale », mais le personnel — ainsi que les habitués qui faisaient des allées et venues discrètes en fin de soirée — la surnommait « Bureau de Bob ».
Une immense baie vitrée donnait sur la Piazza Barberini, construite par feu le cardinal du même nom, et sur laquelle trônait La Fontaine du Triton, curiosité touristique perdue au milieu des quartiers de Rome habituellement fréquentés par les touristes.
Un homme se tenait les mains derrière le dos face à la vitre, dominant toute la place de son crâne chauve. Sa tenue dénotait considérablement avec le reste des lieux. Il portait une chemise hawaïenne ouverte sur un débardeur blanc dont s'échappaient des poils grisonnants.
Roberto Fiore, surnommé Bob, était un homme qui aimait traiter ses affaires avec calme et sérénité. L'étroitesse des cravates et la rigidité des chaussures de ville l'empêchaient de réfléchir avec clairvoyance. Rien de mieux qu'une paire de tongs pour conclure un beau contrat, aimait-il répéter à sa femme qui avait depuis longtemps abandonné l'idée de le vêtir plus élégamment.
Mais force était de constater que sa méthode lui réussissait, et en quarante ans de carrière, il avait su se hisser au sommet, claquettes aux pieds et le nez toujours en alerte. C'était que dans son métier, la moindre erreur pouvait vous coûter la vie, et si l'on baissait la garde, si l'on fermait ne serait-ce qu'un œil, on pouvait être sûr de finir sous l'eau pour tenir compagnie à la faune marine.
Quelqu'un toqua à la porte. Bob ne bougea pas, préférant admirer l'horizon partiellement dissimulé derrière de vieux immeubles et le crépuscule qui faisait son entrée dans le ciel nuageux de Rome. Il chercha nerveusement dans ses poches un paquet de cigarette qui ne s'y trouvait plus. Encore un coup de sa femme, c'était pour sa santé selon elle, mais qu'est-ce qu'elle en savait ? Elle n'était pas docteur ! Alors pourquoi l'emmerdait-elle à ce point ? pesta-t-il intérieurement.
Les coups redoublèrent, se faisant plus pressants. Un frisson passa dans la nuque de Bob. Il jeta un dernier coup d'œil au spectacle qu'offrait la vue à cette hauteur et cria :
— Entrez bon sang ! Vous ne croyez quand même pas que je vais vous tenir la porte !
Un homme au visage juvénile, une cigarette à la bouche, pénétra dans la pièce. Il était grand, maigre et portait un costume mal taillé. Il referma lentement la porte derrière lui et tourna le verrou. Puis, sans prêter attention à Bob, il analysa la pièce.
Le taffetas, le satin et le velours qui recouvraient les meubles en acajou lui firent grincer les dents. Les marbre de Carrare sur lesquels reposaient des tapis perses finement brodés lui arrachèrent un rictus mauvais. Sans la moindre considération pour le cendrier qui était posé sur la table basse, il écrasa sa cigarette sur le cuir du sofa et s'assit.
D'un geste dédaigneux, il désigna le fauteuil devant lui et lança d'une voix grinçante :
— Prenez place, Bob, nous n'avons pas toute la soirée.
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The Woman Who Never Existed et autres Nouvelles
Short StoryRecueil de nouvelles dont le thème principal est le sens que l'on donne à sa vie. Histoires : - INCUBO : Roberto Fiore, surnommé Bob, est un mafieux décomplexé qui se voit, un soir, rattrapé par son passé. A moins que cela soit lui qui arrive à le...