2/ Lucie

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Soulagé d'avoir échappé à une conversation que je présageais comme mortellement ennuyante, je parvins à me détendre un peu. J'étais épuisé. Cela faisait des mois que je me dévouais corps et âmes à ma thèse, sortant très peu, la solitude et la fatigue me transformant lentement en un ermite chevelu et défraîchi.

Les musiques défilaient sur mon îlot numérique. La playlist était en mode aléatoire et apportait, au gré des vagues, des musiques de tous les genres ; la variété française voguait aux côtés de la pop américaine ; les sonorités gitanes louvoyaient autour des légendes du classique ; le jazz flottait gaiement près du rock'n roll. Mais alors que je me prélassais innocemment, une chanson, issue des parties les plus sombres de ma vie, s'échoua à mes pieds.

Elle se nommait « Lucie ».

Lucie. Celle que j'aimais. Celle qui était partie. Des années de cela et une blessure encore meurtrie. Son déménagement. Le manque. Mais jamais l'oubli.

Une marée noire de pensées sombres engloutit mon refuge en un battement de cœur. Cette maudite chanson. Je ne pouvais m'empêcher de l'écouter et, lorsque les dernières paroles étaient prononcées, je me retrouvais plus seul que jamais.

Je retirai mon casque, la gorge serrée par des regrets inavoués.

Mon voisin avait posé son livre et regardait les immeubles s'illuminer dans la nuit. J'avais besoin de parler à quelqu'un, de m'extraire de cette vase intellectuelle qui remplissait peu à peu mes poumons. Je jetai un œil à l'ouvrage qui reposait sur ses cuisses : « Un cheval dans la salle de bain » de Douglas Adams. Drôle de titre, pensai-je, mais cela collait au personnage après tout.

Je me raclai la gorge et demandai timidement :

— Excusez-moi, Monsieur, je n'ai pas bien saisi votre métier, en quoi consiste-t-il au juste ?

The Woman Who Never Existed et autres NouvellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant