Les deux hommes étaient assis face à face autour d'une table basse aux boiseries d'Orient. Bob examinait la boursoufflure du cuir que la cigarette de l'étranger avait fait germer sur le sofa.
Sa femme allait encore rouspéter, il en était persuadé. Il ferait mieux d'en acheter un neuf avant qu'elle s'aperçoive de quoi que ce soit. Mais il avait des sujets de préoccupation plus immédiats.
Il porta son attention sur le faciès famélique qui le fixait : des cernes, comme deux grandes balafres, lui barraient la figure et faisaient ressortir des prunelles noires. Il a vraiment un regard de cinglé, pensa Roberto. Il se félicitait de savoir correctement juger les gens, c'était les détails qui les trahissaient, et à cet instant précis, l'élément le plus marquant chez cet homme était le revolver qu'il braquait dans sa direction.
— Tu n'aurais pas une autre cigarette par hasard ? demanda Bob d'un air détaché.
L'homme le considéra un instant et tout en gardant son arme braquée sur lui, sortit un paquet de sa poche de costume. Il prit une cigarette de l'étui et la tendit à Bob.
— Du feu, peut-être ? interrogea l'étranger avec mépris.
— Volontiers, répondit Bob.
Il prit la cigarette, la mit dans sa bouche et approcha son visage de l'homme.
— Que puis-je pour toi, mon garçon ?
— Je suis venu vous tuer, dit l'homme avec froideur.
Une flamme crépita et de la fumée s'échappa de la cigarette.
— Je vois, déclara Bob.
Il déchaussa ses tongs, se mit en tailleur sur le canapé en daim et se massa le crâne.
— Je ne crois pas que tu veuilles réellement me tuer, Alexandre.
L'homme, qui jusque-là affichait une mine impassible, prit une expression de profonde contrariété.
— Comment connaissez-vous mon nom ?
— Et mes gardes du corps ?
— Comment connaissez-vous mon nom ? s'exclama l'étranger.
— Tu les as tués ?
— Comment connaissez-vous mon nom ? hurla-t-il.
Alexandre s'était levé, il avait armé le revolver et le tenait à quelques centimètres de la tête de Bob. Celui-ci n'arriva pas à contrôler un tremblement au niveau de sa lèvre. Il avait grandement sous-estimé la stabilité mentale de son adversaire. Il s'était attendu à un homme en colère, mais cela ne l'avait pas effrayé. Il pouvait jouer avec la colère des gens, la rediriger. La folie c'était autre chose.
Il essaya de garder une voix forte malgré tout :
— Je te surveille, Alexandre, depuis plus longtemps que tu ne peux l'imaginer, tu n'es pas un tueur, nous le savons tous les deux. J'espère que tu n'as pas fait trop de mal à mes hommes...
— Comme si vous vous en souciez, coupa l'homme avec un sourire mauvais.
— Pour qui me prends-tu, Alexandre ? Évidemment que je m'en soucie, je connais bien leurs familles, cela me peinerait d'aller annoncer à leurs enfants qu'ils sont devenus orphelins... eux aussi.
— Alors vous savez réellement qui je suis.
— Oui... et cela m'attristerait encore plus de te voir devenir un meurtrier.
Alexandre éclata d'un rire qui résonna dans toute la pièce, se répercutant sur la baie vitrée que la nuit avait obscurcie.
— Vous vous souciez de moi à présent ? Vous souciez-vous de mon père lorsque vous l'avez abattu de sang-froid ? Et de ma mère qui essayait de s'enfuir ? Une putain de balle dans le dos, Bob ! Cela fait vingt-ans que j'attends ce moment, vingt putains d'années, et c'est tout ce que vous trouvez à me dire pour sauver votre misérable vie ?
— C'est la vérité pourtant, je...
Mais il n'eut pas le temps de terminer sa phrase : l'homme leva brusquement le bras qui tenait l'arme et lui asséna un coup violent au niveau de la tempe. Roberto s'écroula.
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The Woman Who Never Existed et autres Nouvelles
Cerita PendekRecueil de nouvelles dont le thème principal est le sens que l'on donne à sa vie. Histoires : - INCUBO : Roberto Fiore, surnommé Bob, est un mafieux décomplexé qui se voit, un soir, rattrapé par son passé. A moins que cela soit lui qui arrive à le...