4/ Décision

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Roberto s'éveilla en sueur dans son lit. Il examina l'endroit où il se trouvait, la respiration haletante. Il reconnut le décor chaleureux de sa maison en Sicile. Sa chère Sicile.

Il essaya de se rassurer en se raccrochant au mobilier familier de ses ancêtres. La grande armoire grinçait sous la chaleur estivale, le papier peint aux motifs en fleur lui souriait, le son de la vieille horloge résonnait dans le couloir.

Il était en sécurité.

Il inspecta ses mains dans la pénombre. Elles étaient lisses à nouveau, les rides avaient disparu. Sa femme dormait près de lui. Elle était magnifique dans sa chemise de nuit en satin. Il lui semblait avoir oublié à quel point elle était belle et à quel point il l'aimait.

Il bondit du lit et courut dans la petite salle de bain. Il examina minutieusement son visage, le miroir lui offrit le reflet de ses quarante ans. Il n'était plus tout jeune, mais il était tout de même moins âgé que dans son cauchemar.

Tout cela n'avait-il été qu'un rêve ? Une illusion de son subconscient ? Cela lui avait semblé si réel. Il sentait encore l'eau s'engouffrer dans ses poumons. Il entendait le coup de feu lui éclater les tympans. Pourtant, il était là, dans cette étroite salle de bain puant la moisissure. Et il n'avait jamais été aussi heureux.

Il descendit à la cuisine. Il avait besoin de se changer les idées. De prendre un peu d'air frais.

Quelqu'un était déjà assis à la table.

Mama ? Qu'est-ce que tu fais là ?

La femme semblait l'attendre. Elle lui sourit et lui montra la pâte qu'elle roulait en petit croissant.

— Des cornettos, mon petit Bob, ce n'est pas ce que tu préfères au réveil ?

— Si, si, c'est juste qu'il est tôt, tu ne crois pas ?

— Il n'est jamais assez tôt pour mon figlio.

Roberto lui rendit son sourire et s'assit à côté d'elle. La chaise en bois tressé grinça sous son poids et il observa le mouvement habile de sa mère qui tressait la pâte d'avant en arrière.

— J'ai fait un cauchemar, Mama.

— Je sais, susurra-t-elle, je sais.

— Cela avait l'air si vrai.

Elle interrompit son geste.

— Qui te dis que cela ne l'était pas, Roberto ?

— Parce que je suis là, avec toi, suggéra-t-il dans un rire.

C'était étrange ce que la vieillesse pouvait faire à l'esprit humain. Elle pouvait déformer la réalité, mélanger le présent et le passé. Mais il songea que les rêves avaient également ce pouvoir. Après tout, dans son cauchemar, sa mère avait depuis longtemps succombé à la maladie.

Il déposa un baiser sur sa joue.

— Bob, sais-tu ce qu'est un sogno premonitore ?

— Un rêve prémonitoire ? Oui, Mama, je sais ce que c'est. Et alors ?

Elle ne l'écoutait plus. La pâte qu'elle pétrissait était devenu sa réalité. Roberto la regarda encore un peu faire, puis, lorsqu'elle commença à aligner les croissants sur la plaque de cuisson, il se leva. Il sortit de la cuisine et s'installa dans le salon, près d'une petite table où reposait un téléphone fixe au cadran circulaire.

Il composa le numéro de Phillipe Silenzio. A cette heure-ci, cet imbécile devait encore se trouver chez lui. Une voix désinvolte décrocha :

— Patron ?

— L'affaire du vol, tu t'en aies occupée ?

— Non, pas encore, j'attends que sa femme se casse, elle part voir sa mère tous les premiers weekends du mois.

— Et leur fils ?

— Quel fils ?

— Un gamin, un peu maigrichon.

— Je suis désolé patron, j'ai pas vu de gamin.

— Tu en es sûr ?

— Ah oui, ça fait une semaine que je file cet enfoiré, je l'aurais remarqué s'il avait un rejeton.

Roberto passa une main dans ses cheveux. Il ne pouvait pas faire confiance à Phillipe. C'était de loin le moins fiable de ses hommes. Mais il était obligé de l'employer. Les accords qu'il avait avec la famille Silenzio stipulait qu'il devait engager au moins un membre de leur famille, en gage de bonne foi. La paix entre les deux clans en dépendait. Et il était obligé de lui confier de temps à autres une mission plus importante que les autres.

— Le nom d'Alexandre ne te dit rien ?

— Non... où vous voulez en venir patron ?

Roberto se massa la tempe à l'endroit où Alexandre l'avait frappé.

— Rien. Fais ce qu'on avait dit.

— Bien, patron.

— Et, Phillipe !

— Oui, patron ?

— Si tu tombes sur un gamin...

— Ils ont pas de gosse patron, je vous assure...

— Écoute moi ! Si tu tombes sur un gamin... tue-le.

The Woman Who Never Existed et autres NouvellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant