Chapitre 1 : Gaël

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Trois mois plus tard...

Quand j'étais petite, je parlais aux insectes en ayant la certitude qu'ils me répondaient. J'étais persuadée que les personnages de dessin animé sortaient de la télévision quand la maison était vide. Sans parler du voisin qui selon moi parlait aux animaux.

À cet âge-là, ma vie se limitait à apprendre à lire, réussir à ne pas tomber à vélo et essayer de faire mon lit seule. C'est sans doute les plus belles années que j'ai vécues. Des années de naïveté.

Jusqu'au jour, où l'imagination est rattrapée par la réalité.

Jusqu'au jour, où cette réalité devient indéchiffrable.

En quelques secondes, ma vie est devenue aussi blanche que les nuages que je suis en train de survoler. Je n'ai pas de soleil pour l'éclairer. Ni de commande pour m'aider à la contrôler.

Mon cerveau est une feuille qu'on remplit d'annotations, de schémas et de chiffres. Je connais mon enfance, la situation actuelle de mes parents, l'âge de ma sœur, mais des mots, est-ce suffisant pour les considérer comme des souvenirs ?

Lorsque les résultats des examens médicaux sont tombés, ce ne fut pas une surprise pour moi. Je me suis réveillée avec l'incapacité de réfléchir correctement. Je ne savais plus qui j'étais, ni l'âge que j'avais. Je ne connaissais pas ces personnes dans ma chambre qui me regardaient avec soulagement et amour. Alors mon amnésie était cohérente.

J'ai eu l'autorisation de quitter l'hôpital seulement quelques jours après et j'ai aussitôt pris l'avion en destination de la Belgique pour rejoindre ma grand-mère. Mon départ précipité a été la décision de ma mère qui refusait que je sois constamment confrontée aux médecins. Ce qui était pourtant inévitable que je sois ici, ou ailleurs, je ne sais donc pas quel était son véritable motif.

À présent, les roues de l'avion se posent de nouveau sur le sol français. Pourtant, je ne le réalise qu'une fois que les passagers se lèvent pour récupérer leurs sacs. Les uns après les autres, nous sortons, traversons des couloirs et descendons des escaliers jusqu'à la salle des bagages.

Ma valise arrive peu de temps après, je l'attrape à deux mains, pour l'ôter du tapis roulant. En touchant le sol, elle émet un bruit sourd, étouffé par le brouhaha de la foule. Je tire sur la poignée pour la faire rouler en me dirigeant vers la sortie. Je marche en fixant droit devant moi, comme pour éviter des regards et des paroles malveillantes.

En passant les portes battantes qui mènent au hall d'entrée de l'aéroport, je me retrouve face à des centaines de personnes qui attendent impatiemment derrière une barrière. Je traverse l'allée d'un pas hésitant, en cherchant ma mère du regard. Nous ne nous sommes pas vues depuis ces trois derniers mois, et même si je ne me souviens plus de son visage, je pense pouvoir la reconnaitre.

À cette pensée, ma gorge se noue, mon pouls s'accélère, et même si je tente de ne pas céder à la panique, c'est compliqué. Je suis confrontée à l'inconnu depuis le premier jour. Je dois me familiariser avec un environnement, des habitudes et des personnes que je ne connais pas. Lorsqu'on réussit cette épreuve, on fait un grand pas en avant. Quand on doit la recommencer, c'est regarder le chemin de la réussite s'éloigner.

Même s'il s'agit de ma famille, c'est ce que je ressens... Nous n'avons pour le moment jamais été tous réunis, alors j'appréhende. Y aura-t-il des tensions ? Nous entendrons nous bien ? Me sentirais-je chez moi ?

Respire.

À quelques mètres de la sortie, je finis par l'apercevoir. Ses cheveux bruns sont attachés dans un chignon et sa main tient fermement son sac contre elle. Ses yeux parcourent la salle avec attention et lorsqu'ils se posent sur moi, diverses expressions défilent sur son visage. Soulagement. Peur. Inquiétude. Tout comme moi, à l'exception qu'elle réussit à me sourire.

- Salut, dis-je d'une voix peu assurée.

Elle devine facilement que cette situation m'angoisse autant qu'elle. Ses bras s'enroulent alors autour de moi et sa tête se pose sur mon épaule. Elle renifle discrètement et son parfum à la vanille envahit mes narines. En s'écartant, elle se pince les lèvres pour s'empêcher de pleurer et me prend ma valise des mains.

Je la suis en direction du parking en évitant ses yeux brillants qui me rendent encore plus nerveuse. Nous nous arrêtons devant une voiture, ayant sûrement le double de mon âge, si ce n'est plus. La peinture s'écaille à certains endroits, le rétroviseur tiens grâce à de l'adhésif et il nous a également fallu cinq minutes pour réussir à fermer le coffre.

- Tout s'est bien passé avec ta grand-mère ? demande finalement ma mère en attachant sa ceinture.

- Oui.

Un sourire effleure mes lèvres, ainsi qu'un pincement au cœur en me souvenant de ce matin. Mon sac comporte plus de nourriture que ses placards à gâteaux et avant de la quitter, elle m'a serré avec force dans ses bras. Tellement fort, que je me suis rendu compte que plus de quatre-vingt-dix jours s'étaient écoulés. Nous avons appris à vivre à deux et à présent, elle se retrouve seule.

Le trajet continue dans un silence total et déplaisant. Je m'installe confortablement dans mon siège pour regarder chaque goutte d'eau qui s'écrase sur ma vitre. Je les observe atterrir et glisser jusqu'à disparaitre de mon champ de vision. Puis, sans me soucier du reste, mes yeux se ferment. 

EffacéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant