Chapitre 11 : Emilya

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Tous les jours Gaël reste plus de cinq minutes dans le couloir devant le mur de photos. Sa tête reste droite, ses bras sont le long du corps et ce sont seulement ses pieds qui bougent pour se décaler. Je me demande si elle retient sa respiration, pendant qu'elle regarde les différents clichés. Je me questionne aussi sur la source de cette activité. Est-ce pour entraîner sa mémoire ? Dans l'espoir qu'une des photos lui paraissent familière ? Qu'une lui revienne en tête ?

Jour après jour.

Je l'observe en me rendant compte que j'aurais préféré être à sa place. J'aurais dû me réveiller dans ce lit d'hôpital. J'aurais dû tout oublier. Mon passé. Ma famille. Ma culpabilité.

Je n'aurais pas eu à supporter chaque matin. Chaque repas. Chaque regard. Chaque mensonge.

J'aurais dû être effacée.

Je referme la porte de ma chambre en attendant qu'elle termine de longer le mur, avant de pouvoir descendre. Dans le salon, maman termine de vider le lave-vaisselle, tandis que j'enfile mes baskets sans prendre le temps d'attacher les lacets.

- J'ai préparé ton déjeuner, déclare maman de la cuisine.

Sans lui adresser un regard, je place mon manteau sous mon bras, je mets mon sac à dos sur une épaule et je sors de la maison. Je pose mon sac au sol, pour enfiler mon manteau en vitesse et nouer mes lacets.

J'ai fait beaucoup d'efforts en acceptant de suivre leur consigne. J'ai accepté de leur faire confiance concernant cette nouvelle partie de notre vie. Ce nouveau tournant. Mais, je ne me sens pas capable d'accepter des coups de travers comme ceux-là...

- Ça va ? me demande ma sœur en sortant à son tour de la maison.

- Très bien !

Ma voix est cassée. Ma réponse sonne faux. Je mens, je le sais et elle aussi. Pourtant, elle n'ajoute rien. Je préfère ne pas parler de ce que je ressens, c'est tellement plus facile de tous garder pour soi. Et plus dangereux. Je laisse mes sentiments se cacher, jusqu'au jour où ils exploseront.

Une seconde fois.

- Tu ne viens pas avec nous ? demande Gaël en s'apercevant que continue mon chemin sans m'arrêter à la voiture de Leo.

- Non, dis-je en me retournant vers elle toute en continuant d'avancer en marche arrière. On se rejoint plus tard.

Je reprends dans le bon sens en accélérant le pas pour ne pas être en retard. La sonnerie retentit une quinzaine de minutes plus tard, lorsque je franchis le grillage. Le hall commence à se vider, alors je me dépêche de rejoindre la cage d'escalier au fond du bâtiment. En relevant la tête j'aperçois une silhouette familière, je m'empresse de fixer le sol, en espérant passer inaperçu.

- Salut, dit Maxime en se s'arrêtant devant moi.

- Je vais être en retard.

J'évite son regard en tentant de le contourner, il suit le mouvement en continuant de me bloquer le passage. Je ne me sens pas capable de l'affronter alors que sa voix résonne encore dans ma tête : « je pensais que tu serais capable d'ouvrir les yeux par toi-même Emilya ». Des simples mots, remplis de colère, de pitié et de froideur.

La vérité me vexe et son mépris me blesse.

- Accorde-moi une minute, s'il te plaît.

Je finis par réussir à lever la tête vers lui et je plonge mon regard dans ses yeux vert émeraude. En sachant que j'accepterais ses excuses, même si ses paroles étaient méritées. En sachant que je ne pourrais pas lui en vouloir plus que ça, puisque j'ai besoin de lui. Il est le seul à savoir ce que j'ai fait sans me juger.

- Je veux juste savoir, qui est celui qui dépose et récupère Gaël au lycée ?

Mes yeux s'écarquillent de surprise, mon front se plisse et ma gorge se serre à cause de la colère. Ma sœur est revenue, alors je reprends le second rôle. A-t-il oublié ses paroles blessantes ? Ses accusations ? Préfère-t-il faire comme si de rien n'était ?

En apercevant mon expression, il fronce les sourcils à son tour, se pince nerveusement les lèvres et plonge ses mains dans ses poches. Si je ne le connaissais pas aussi bien j'aurais pu penser qu'il est juste gêné, alors qu'il attend juste une réponse.

Je me contente de soupirer, pour refouler ma colère et je le contourne en le bousculant pour monter les escaliers. Je fais volte-face lorsqu'il m'interpelle pour la seconde fois, toute trace de colère a disparu, alors qu'à l'intérieur je bouillonne.

- Nos parents l'ont engagé pour l'aider, j'avoue en me retournant pour monter les dernières marches.

- Merci Emi.

Je sais qu'il me sourit, mais je suis incapable de l'imiter. On devrait sourire que lorsqu'on se sent capable de le faire. Que lorsqu'on va bien. Un sourire peut cacher des milliers de secrets et finalement ils finissent toujours par remonter à la surface. Alors, je ne fais rien, pour justement montrer que je ne vais pas bien.

Même si ça ne change rien.

* * *

Les portes automatiques coulisses pour me laisser rentrer dans la superette. Mon père termine d'encaisser une cliente et j'en profite pour déposer mes affaires dans mon casier.

- Bonjour ma puce.

- Salut, je peux rester avec toi cette après-midi ?

- Tu n'as pas cours ?

- Non j'ai terminé.

- Pourquoi n'en profites-tu pas pour rentrer à la maison ?

Je ne sais pas comment lui avouer... Je veux fuir notre maison remplie de secrets, de mensonges et d'illusions.

Je veux fuir le rôle qu'on m'a imposé.

Je veux oublier, ne serait-ce qu'une après-midi, que je suis une marionnette, créée dans le but de changer le passé.

Comme si j'en avais la capacité. Comme si, on pouvait changer ce qui a déjà existé. Comme si on pouvait créer une nouvelle histoire.

Effacée le pire. Pour écrire meilleure.

- Je n'ai rien à faire à la maison, finis-je par dire en haussant les épaules toute en enfilant ma veste pour commencer à travailler.

Ses lèvres s'étirent pour afficher un sourire plein de facettes. Bonheur. Fierté. Confiance.

Tandis que moi je ne sais même plus à qui je peux faire confiance. 

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⏰ Dernière mise à jour : Apr 23, 2021 ⏰

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