Il existe tant de choses, dont on est persuadé que l'on n'oubliera jamais. Un visage. Une voix. Une musique. Une photo. Elles représentent une marque de bonheur ou de tristesse. Elles nous rappellent qu'on est humains. Elles nous apprennent qu'on n'est jamais vraiment seul.
Pour moi, c'est une phrase.
Dans le couloir, une vingtaine de cadres sont accrochés au mur. Certains semblent plus récents que d'autres et parfois même plus interpellant. Dans quel but accroche-t-on des souvenirs tangibles comme ceux-là ? Est-ce par peur d'oublier ? Est-ce pour immortaliser un moment ? Est-ce pour faire vivre le passé ?
Mes yeux fixent une photo qui me représente avec grand-mère. Mes cheveux étaient teints en rose, ce qui signifie qu'elle aurait pu être prise il y a trois mois, comme il y a un an. Je ressens un pincement au cœur en regardant son visage si souriant, qui creuse de chaque côté des fossettes et approfondit ses rides dans le coin de ses yeux.
Trois mois m'ont suffi pour lui faire entièrement confiance. Elle m'a créé des habitudes, aidé à me comprendre moi-même et montré quel sens une vie pouvait avoir. Elle a su me soutenir comme il le fallait et sincèrement je ne pense pas que mes parents ou ma sœur auraient pu en faire autant, si j'étais restée ici.
Durant plusieurs semaines, je me suis réveillée en devant affronter ce blanc qu'était ma vie. Entre-temps, je n'ai pas réussi à déterminer toutes les couleurs, mais grand-mère a su me faire oublier « l'avant ». Alors, tous les jours, elle m'a répété cette phrase poignante et réaliste. Cette phrase qui me pousse encore aujourd'hui à me battre contre mon amnésie. À m'habituer. À vivre avec.
« La vie ne t'a pas abandonnée », disait-elle.
* * *
Assise sur le canapé, ma sœur termine de manger son bol de céréales tout en regardant un dessin animé. Ma mère entre dans le salon, juste après moi en s'arrêtant à ma hauteur pour m'embrasser le front. Une simple habitude pour elle, qui est encore loin d'être familier pour moi.
- Emilya ! On ne mange pas sur le canapé, râle-t-elle en allumant la machine à café.
Ma sœur se lève et marche jusqu'à la cuisine en portant son bol à ses lèvres pour finir de boire le lait. Elle le dépose dans l'évier et retourne sur le canapé sans rien ajouter. Ce qui ne m'étonne pas, puisqu'en moins d'une semaine, j'ai pu repérer les tensions qui règnent dans cette maison. Ma mère et ma sœur ne se parlent pas. Mon père évite d'entamer une conversation sérieuse. Pourtant, ils essayent de rendre la situation normale, seulement ça ne fonctionne pas.
- À ce soir, dis-je en prenant mes clés de maison sur la table pour les rangers dans mon sac à main.
- Tu ne déjeunes pas ? m'interpelle ma mère.
- Je n'ai pas faim.
Comment lui avouer que ne suis pas à l'aise, que je n'ose pas ouvrir les placards ou ne serait-ce que demander. Je me sens de trop avec eux, alors j'ai encore besoin de m'adapter.
Du moins essayer.
- Prends au moins une pomme avec toi, propose-t-elle en m'en tendant une.
Je lui adresse un sourire forcé pour la remercier et je quitte la maison pour rejoindre la voiture bleue garée devant. Après dix minutes de trajet, Leo se gare le long du trottoir près du lycée et me tend un objet.
- Enregistre ton numéro, dit-il en tirant sur le frein à main.
Je regarde son portable avant de tourner la tête vers l'extérieur en serrant les dents pour réprimer un rire. Puis, je reporte mon attention sur sa main encore tendue.
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Effacée
Teen FictionGaël s'est réveillée avec dix-sept années effacées de sa mémoire. Contrairement à Emilya qui garde assez de souvenirs pour elles-deux. Trois mois plus tard, les deux sœurs reprennent leur vie où elle s'est arrêtée. Même école, même fréquentation, m...