1 - Si réel

3 0 0
                                    

Aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours fait ce même rêve. Le soleil avait disparu. Tout était gris et de fines gouttes de pluie inondaient le parc. J'étais toujours assise sur le même banc, au pied d'un imposant saule pleureur, au sommet d'une petite colline qui surplombait tout le parc. De là je pouvais voir l'étendue déserte et silencieuse. J'étais seule et j'attendais. J'attendais. Je n'entendais que le bruit de ma respiration. Je restais assise le regard rivé sur l'horizon désespérément vide. Je scrutais chaque recoin du parc comme si j'attendais quelqu'un. Quelqu'un allait arriver, j'en étais sûre. Je ne savais pas qui mais il allait venir. Pour moi. Alors je devais attendre. Mais personne ne venait jamais. Je gardais les yeux rivés sur le pont en bois qui surplombait la rivière qui entourait mon ilot, sans résultat. Aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours fait ce même rêve. Rien n'avait vraiment changé, et surtout pas ce sentiment de tristesse qui m'envahissait toujours au réveil. Cependant cette nuit là, le rêve me sembla différent. Je n'aurais su dire pourquoi mais je sentais que quelque chose allait arriver, enfin. J'étais assise sur ce banc en bois très peu confortable, et j'attendais. Je restais droite et je regardais devant moi, la main posée sur l'accoudoir. Une pluie fine et glacée se mit à tomber comme à l'accoutumée. Je tressaillis mais ne bougeai pas d'un centimètre, j'examinai les alentours à sa recherche. Mes cheveux trempés étaient plaqués sur mon visage. J'aimais sentir la pluie couler sur mon visage. Son odeur avait quelque chose de rassurante sans doute parce que je la connaissais trop bien. Je fermais les yeux.

- Concentre-toi. Tends l'oreille, Jo. Ferme les yeux et écoute, avait l'habitude de me répéter ma mère.

Elle avait toujours voulu que je sois pleinement consciente du monde qui m'entourait. Que je puisse entendre ce qu'il avait à me dire.

- Tu dois apprendre à te servir de ce que la nature t'a donné, ma chérie. Tu dois apprivoiser le monde. C'est le seul moyen de t'en protéger, ajoutait-elle toujours.

Je n'avais jamais compris ce qu'elle voulait dire par là mais j'essayais tout de même. Je tentais de discriminer les voix qui m'entouraient comme elle me le disait, mais ce n'était rien d'autre que du brouhaha pour moi. J'avais toujours été mauvaise à ce jeu là, contrairement à ma mère. J'avais parfois l'impression qu'elle entendait des choses que personnes d'autres ne pouvaient entendre, comme si elle lisait dans l'esprit des gens. Mais moi, je ne savais pas écouter, je savais ressentir. J'étais en effet capable de parfaitement ressentir les gouttes de pluie glissées le long de ma joue et pénétrées sous mon T-shirt comme si j'étais une d'entre elle. Je pouvais les sentir glisser le long de ma peau et suivre leur chemin une à une. Je les sentais rouler sur mon corps, j'étais chacune d'entre elle. Alors que je suivais le chemin de l'une d'entre elles le long de mon bras, la pluie cessa brusquement. J'ouvris les yeux et je constatai qu'en réalité elle tombait toujours et même plus fort qu'avant, mais plus sur moi. Je levai alors les yeux et découvrit un énorme parapluie rouge positionné au dessus de ma tête. Comment était-ce possible ? Tout ça n'était jamais arrivé. La pluie ne cessait jamais et un parapluie n'apparaissait pas au-dessus de ma tête comme par enchantement. Tout ça ne faisait pas partie du scénario habituel. Alors que je tentais de calmer mon cœur qui était lancé dans une course folle, je perçu un son inconnu. Je refermai instinctivement les yeux afin de mieux le discerner, mieux ressentir. Je sentais les gouttes qui glissaient le long des feuilles, je sentais le vent courir à la surface de l'herbe et mouvoir les branches du saule, toutes ses sensations que je connaissais si bien. Puis je ressentis autre chose, quelque chose de différent et d'inconnu. Une respiration. Je pouvais l'entendre, la ressentir. Je sentais chaque battement de ce cœur comme si il battait dans ma propre poitrine. J'avais l'impression d'entendre une musique, la plus douce de toutes les musiques. Un chant angélique. Je suivais la mesure de son souffle et je m'accordais à lui. Nos respirations se mirent à composer une sorte de mélodie harmonieuse. Le rythme de la symphonie se fit de plus en plus rapide au point où j'eus l'impression que nos deux cœurs allaient exploser. J'hésitais, je ne savais pas quoi faire. Ou plutôt, je n'osais pas. J'ouvris les yeux et après avoir pris une profonde inspiration, je me tournai lentement vers lui. Je devais lui faire face.

RêveWhere stories live. Discover now