2 - Orlando

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Le trajet en avion avait été très long mais celui en taxi fut plus difficile. Au moins, en ce qui concerne l'avion, j'avais de quoi me tenir éveillé mais tout ce qu'il y avait pour me distraire dans cette voiture c'était le chauffeur. Et je n'avais pas envie de parler à quelqu'un ou de parler tout simplement. Pourtant, je compris immédiatement que j'étais tombée sur ce genre de chauffeur qui ne peut s'empêcher de vous faire la conversation. Il ne cessait de me sourire et de me regarder dans son rétroviseur. Je le détestais déjà. Je ne voulais qu'une seule chose, qu'on me laisse tranquille, mais il semblait ne pas comprendre ça.

- Qu'est ce qui vous amène dans notre bel état du Massachussetts, jolie demoiselle ?

Il me posait la question la seule question à laquelle je ne pouvais répondre. Je n'avais pas la moindre idée de ce que je faisais ici. Que pouvais-je lui répondre ? Que tout ce dont je me souvenais c'était qu'une assistante sociale m'avait tendue un billet d'avion, mon passeport et un morceau de papier avec un nom et une adresse.

Orlando Prebeil,

1325 Grand Street, Avon, Massachusetts.

- Qu'est ce que vous serrez si fort ? Me demanda-t-il en désignant ce fameux morceau de papier que je tenais dans ma main.

Je me contentais de le lui tendre. Je crois qu'il me gratifia d'un commentaire mais je ne l'entendis pas. Je m'étais déjà refermée. Il effectua encore quelques essais infructueux afin de me faire parler puis il finit par abandonner. Je m'étais enfoncée le plus loin possible dans le siège en cuir noir et avait posé ma tête contre la fenêtre. Elle était glaciale et elle refroidit immédiatement mon front brûlant. Le médecin qu'on m'avait forcé à consulter avant mon départ ne trouva aucune explication à cette fièvre qui ne m'avait pas quitté depuis que je m'étais réveillé dans le bureau du proviseur, entouré de trois hommes aux visages inquiets. Après ça, tout c'était passé si vite. Je n'arrivais pas à me souvenir de tous les moments qui m'avaient mené jusqu'à ce taxi. Je n'étais sûre que d'une chose, je n'avais pas dormi depuis qu'il ... n'était plus là. Je refusais de fermer l'œil, je refusais de courir le risque de revoir à nouveau cet ange de la mort. Car j'avais eu tout le temps de réfléchir à celui qui m'avait prévenu du danger, celui qui avait su que j'allais perdre ma seule raison de vivre. Il ne pouvait être qu'un ange de la mort, ceux qui récoltent les âmes et les conduisent de l'autre côté. C'était lui qui m'avait pris mon père, j'en étais sure. Et pourtant malgré cela, je n'arrivais pas à le détester, j'en étais incapable alors que je le voulais tellement. Mais surtout je savais que si je le revoyais, je ne pourrais pas lui résister. Alors je ne voulais pas le voir, je ne voulais pas voir son visage si doux et son regard envoutant. Je refusais même de penser à lui mais chaque fois que je fermais les yeux, je le voyais. Je refusais donc de dormir. Je refusais de penser. Je refusais d'exister, de vivre dans un monde où j'étais seule. J'avais décidé de me fermer au monde, aux émotions, à la vie. J'avais cessé de ressentir quoique ce soit. J'étais comme anesthésiée, incapable de savoir ce que ressentaient les gens autour de moi car je ne ressentais plus. Tout était bloqué. Plus rien ne passait. Il n'y avait plus rien qui existait en dehors de ma peine. Je ne savais pas réellement à quel moment j'avais cessé de ressentir quoique ce soit. Peut être quand j'avais vu le visage d'Engly ou bien quand je l'avais cherché dans toutes les pièces de la maison, ou encore quand je m'étais allongé sur son lit en humant son parfum. Je ne saurais le dire avec certitude, mais je savais exactement quand j'en avais pris conscience.

Mes souvenirs de ces jours étaient plutôt flous. Je me rappelais certains visages comme celui d'Emilie, de Jackson, ceux des collègues de mon père qui s'étaient succédé à la maison ainsi que celui de cette femme des services sociaux qui avait débarqué le lendemain de la mort de mon père. Elle m'avait posée des tas de questions sur moi et sur ma famille.

RêveWhere stories live. Discover now