Comme il est lassant d'être parfaite, comme il est navrant de savoir en se levant le matin que l'on va sourire, dire oui à tout ce qu'on nous demande, et qu'on ne va relâcher ses larmes, et tout le poids de sa colère, que lorsque la porte de la chambre sera close, et que plus personne ne sera là pour entendre l'infinie plainte des sanglots déversés dans une mare de solitude.
Combien de fois me suis-je sentie plus bas que terre pour une simple remarque désobligeante, un simple regard lourd de sens ? Des milliers, des millions. Et combien de fois n'ai-je vécu que pour moi ? Aucune, je crois. Jamais je n'ai fait une chose simplement parce que je l'ai désirée, toujours, toujours, il y avait derrière moi la raison, la peur de décevoir. Jamais je n'agis par simple caprice, parce que ce n'est pas comme cela qu'on fait lorsque l'on fait lorsque l'on doit être parfaite.Toute ma vie a été passée à faire ce que les autres attendaient de moi, à se préoccuper du regard qu'ils posaient sur mon enveloppe au fond si vide, si fragile. Je me brise dès que je déçois, je pleure dès que je sais que j'ai fait une chose qui ne convenait pas à tout le monde.
« A force de vouloir rendre les autres heureux, tu t'oublies, et c'est toi qui ne l'es pas ». Je le sais. Cette phrase revient en boucle dans ma tête. Elle est si vraie que j'en souffre, si vraie que je ne peux l'ignorer. Parfois je me demande, à quoi bon vivre une vie si elle n'est là que pour contenter les autres ? Je m'interroge sur le sens de mon existence ici. Suis-je simplement un énième soldat désabusé de l'armée du contentement ?J'ai parfois l'impression de porter en permanence un masque opaque sur lequel on aurait gravé un sourire. Et dessous, mes larmes ne cessent de rouler, formant un ruisseau de peine dans lequel je manque sans cesse de me noyer. Mais personne ne le voit, tout cela est caché, bien à l'abri derrière les belles rangées de dents blanches sans cesse dévoilées, comme pour dire « tout va bien, tout va bien ». Et rien ne va. Parfois j'ai envie de hurler, mais ce ne serait pas raisonnable. Alors je grave des milliers de mots, je suis comme possédée par ma plume, je laisse danser les mots au bout de mes doigts, je les sens rouler tout autour de moi pour m'emmener dans leur ballet phénoménal. Ils m'emportent loin de toute cette vie si parfaite et tellement exaspérante. Ce sont eux qui me murmurent au creux de l'oreille « nous te comprenons, tu sais, nous connaissons ta douleur, la monotonie que tu subis en baissant les yeux et en courbant le dos. Nous sommes là pour te sauver, pour te montrer une autre voie, et pour te hurler que tu n'es pas simplement une autre poussière destinée au néant. Tu es spéciale ». Je veux les croire. Et, l'espace d'une danse de mes doigts sur le clavier, je sais qu'ils disent la vérité. Mais alors le « clac-clac » des touches meurt dans un ultime écho, je remets le masque, je lutte encore contre le flot de mes larmes bien trop noires, et je me noie lentement sans que personne ne voie rien. Et tout recommence.

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Seconde Peau
Non-FictionJ'ai toujours eu ce désir d'apprendre qui j'étais à travers des mots qui auraient découlé de mes larmes. Si je l'ai fait des centaines, non, des milliers de fois, à travers des « il » ou « elle » trompeurs pour tous les esprits - et le mien le premi...