Beauté

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« Tu n'es pas belle. » Parfois je vois cette fille au sourire triste dans le miroir, et c'est ce que je me dis.

« Tu n'es pas belle. » Chacun de ces mots s'infiltre en mon cœur comme un poison, silencieusement, il s'insinue en moi et finit par me posséder toute entière.

Et soudain, j'ai l'impression de tout faire de travers, comme si personne ne me voyait comme j'en ai envie. Je veux être belle. Je ne veux pas être la petite fille avec une voix d'enfant, je ne veux pas être celle qui se plonge dans ses souvenirs avec un sourire envieux. Et pourtant, il est tellement réconfortant, ce royaume de l'enfance, tellement doux. Comme la vie était plus facile blottie dans les larges bras des parents. Mais aujourd'hui les bras ne semblent plus si grands, tout comme le monde – qui parfois même paraît un peu étriquée pour les grandes idées qui envahissent mon noir esprit. Aujourd'hui il faut changer, il faut grandir, il faut dire au revoir à l'innocence, faire une croix sur les milliers d'heures de jeux insouciantes au milieu des jets de magie multicolores. Je ne me sens pas prête. Mais je ne me sens pas belle et, quelque part, une voix dans ma tête me hurle qu'il me faut grandir pour devenir belle. Et que tant que je resterai là, les yeux rivés sur le miroir lisse, les yeux embués de larmes, mes petits doigts enserrant le maigre tissu de mon passé, je ne pourrai pas avancer. 

Je ne me sens pas prête. Je ne me sens pas belle. Je ne me sens pas moi, je ne sais plus qui je suis, et aucun mot ne semble assez juste pour exprimer le gouffre dans lequel je m'enfonce à mesure que les images me reviennent. Je suis dans cet entre-deux effrayant où on m'enlève le droit d'être un enfant sans me donner réellement celui d'être un adulte. Alors je ne suis rien, je ne suis personne. Je suis bloquée devant le miroir, devant le clavier, et la seule chose que je veux écrire, c'est que je ne suis pas belle.

Je ne suis pas belle, pas parce que mes traits ne sont pas harmonieux, pas parce que mes formes sont disproportionnées, mais tout simplement parce que je ne reconnais plus cette image qu'on me renvoie. Cette silhouette est bien trop grande, ses joues ne sont pas assez rondes, rien ne va plus chez elle. Elle n'a pas ce sourire tendre qu'on attendrait d'une femme belle. Elle n'a pas non plus le sourire malicieux d'une gamine effrontée sur le point de laisser s'évanouir dans l'écho un dernier éclat de rire. Elle n'a qu'un sourire vague, qui n'est un sourire que parce qu'il doit en être un. Il n'exprime rien. Alors parfois, elle préfère simplement ne pas sourire. 

Ma vie est un peu creuse, et je tente de la remplir avec des mots, mais ils s'échappent petit à petit de mon enveloppe qu'ils sont sensés colmater, et alors je me sens encore plus vide qu'auparavant. C'est bête, je suis sûre que s'ils voulaient bien de moi, ils sauraient me rendre belle. Je voudrais m'accrocher à eux, faute de mieux, mais ils glissent. Ne restent alors plus que la silhouette et son reflet dans le miroir, prononçant lentement ces mots encore une fois : « je ne suis pas belle ». Je cherche toujours comment le devenir.  

Seconde PeauWhere stories live. Discover now