J'ai parfois cette impression effroyable qu'autour de moi tout change, que tous ceux que je connais grandissent, et moi je reste là. Les gens s'épanouissent, avancent pas à pas vers un âge plus avancé qu'ils touchent du bout des doigts avec un plaisir non dissimulé. Premières expériences dans le vrai monde, ils goûtent avec empressement à tout ce à quoi je n'ai jamais voulu goûter. Se mettre la tête à l'envers, faire la fête, désobéir, s'enivrer dans de nouveaux parfums de liberté, tout le monde s'y laisse couler avec délices. Pourquoi n'en ai-je pas envie ?
Plus le temps passe plus je reste convaincue que je suis faite pour rester une enfant. Le monde de la vérité ne m'intéresse pas. S'il vous plaît, laissez-moi rêver encore quelques années, laissez-moi flotter dans l'insouciance, préservez-moi de cette vie qui veut à tout prix m'arracher mon innocence. Je suis faite pour être une petite fille, pour rêver de mondes meilleurs et de couleurs qui n'ont encore même jamais existé. Je ne suis pas faite pour vivre dans le vrai monde et plus on m'y enferme, plus je pleure. Je ne suis pas à ma place dans cette case qu'on me présente comme étant la mienne. Tout ce dont j'ai besoin c'est de rester dans ce magnifique irréel, dans ces choses que je ne pourrai jamais toucher mais qui pourtant ont toujours été à mes côtés : la magie, les rêves, l'espoir. Car plus le temps passe plus on voit les chances que l'on avait de réaliser ce que l'on avait prévu dans la vie s'amenuiser. J'ai toujours su que je voulais être quelqu'un d'exceptionnel, et pourtant me voilà du haut de mes dix-huit ans, une âme perdue dans la masse qui ne comprend pas où est passé ce merveilleux destin auquel elle avait toujours été promise. Eh quoi, je déçois tout le monde ? Moi la première, si vous saviez. Je suis tellement banale, tellement triste, tellement terne. Rien de plus rien de moins que toutes ces autres filles qui se bousculent dans les couloirs du lycée et arrêtent peu à peu de croire aux contes de fées. C'est tellement dur de se voir ranger dans la case « monotonie » avec toutes ces autres charpies esseulées que l'on appelle des âmes.
Moi qui avais toujours voulu briller, je me retrouve assise par terre à graver quelques mots dans la pierre qui seront bientôt emportés par la marée. Laissez-moi rêver. Rêver que j'ai trouvé un prince charmant pour qu'il m'emmène sur son cheval blanc, qu'il me montre des bulles multicolores puis des sapins puis des fusées. Laissez-moi grimper jusqu'en haut de cette scène qui m'a toujours appelée et que pourtant je n'ai jamais su rejoindre.
Au fond, je ne suis faite que des regrets, plus les heures passent plus je découvre celle que je suis vraiment. Elle ne me plait pas, et je ne comprends même pas qu'elle puisse plaire à d'autres. Elle n'est pas si jolie, pas si intelligente, elle n'a rien qui la distingue de tous les autres qui se pressent à ses côtés. Elle ne veut pas se faire remarquer, elle veut juste poursuivre une existence déjà toute tracée. Pourtant parfois elle crie, elle pleure et elle a juste envie d'arrêter cette vie qui la ronge et qui ne lui sert même pas vraiment. Pourquoi souffrir tout cela, pourquoi verser tant de larmes que jamais personne ne verra ? Elle est tellement désespérée que ses mots ne sont plus très jolis. Ils se répètent, tournent en rond et au bout d'un moment elle n'a plus rien à dire, parce qu'au fond elle se sent comme si personne ne l'aimait. Oh, des je t'aime, des sourires, de l'amour, elle en a, mais jamais rien qui vraiment ne la retienne, rien qui ne l'aide à sortir la tête de l'eau. Et la vérité c'est qu'elle a tellement peu confiance en elle qu'elle voudrait que tout le monde l'aime, pour la rassurer un tant soi peu, pour que ce soit comme une jolie voix qui lui murmure à l'oreille : « tu vois, ils t'apprécient, c'est sûrement que tu n'es pas aussi fade que tu le prétends ». Au fond elle est égoïste, tout ce qu'elle fait est un appel au secours, un cri pour qu'on lui donne rien qu'un peu plus d'amour. Mais elle n'a plus de voix et personne ne capte son souffle qui déjà s'épuise. Tout le monde grandit tout le monde s'en va, ne restent plus que sa pâle silhouette, ses désillusions et ses larmes qui coulent jusqu'à la noyer. Un jour elle aussi va s'en aller.

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Seconde Peau
Non-FictionJ'ai toujours eu ce désir d'apprendre qui j'étais à travers des mots qui auraient découlé de mes larmes. Si je l'ai fait des centaines, non, des milliers de fois, à travers des « il » ou « elle » trompeurs pour tous les esprits - et le mien le premi...