Épilogue

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Dix ans avaient passé.

Dans la demeure de Joe, rien n'avait changé. Désormais plombier, il vivait encore avec Mamita qui ne pouvait plus vivre seule. Sa hanche lui faisait trop mal, ses articulations étaient fragiles, alors il veillait sur elle. Plus loin, l'appartement luxueux de monsieur Mills était occupé par une nouvelle famille, les Hubert.

Henry vivait dans son propre appartement, dans le centre. Il avait fini ses études de droit et avait rejoint un cabinet réputé. Les avocats que son père avait engagés une décennie auparavant, lui avaient permis d'éviter la case prison. Il voulait faire la même chose pour les autres.

L'entreprise Nutella avait payé. Après les analyses, la trace de Liporex avait bien été retrouvée et des archives d'état ainsi que des fichiers classés secret avaient été descellés. Des milliers de familles avaient été dédommagés. Des petites sommes, mais au moins elles savaient. Tout un tas de meurtres avait été résolu grâce à ce coup d'éclat.

Monsieur Mills lui, avait emménagé dans une petite maison de banlieue qui lui rappelait en tout point son premier cottage. Il avait renoué avec son fils, des albums photos avaient fait leur apparition sur les étagères.

— Mon cœur, ma sœur a dit qu'elle passerait ce week-end, j'ai dit oui, tu n'y vois pas d'objection ?

La voix féminine provenait de la cuisine. Il vit sa femme accoudée à l'encadrement de la porte. Un anneau doré protégeait son annulaire.

— Ce serait avec plaisir, répondit Georges.

Jeanne Jacobson approcha de son époux et le remercia d'un baiser. Une cicatrice immense la traversait, mais elle était invisible. Son cœur avait brûlé il y avait des années. Elle avait fait son deuil. Paul restait là, quelque part au milieu des cendres de son âme.

Ce fut Joe qui lui apprit. Henry s'était effondré au premier mot. Georges s'était posté derrière elle, prêt à la retenir si elle s'évanouissait, mais elle n'avait pas réagi. Elle n'avait pas pu. Son corps, son cœur, l'ensemble de ses connexions l'avaient quittée à l'instant où il avait prononcé le mot. Ce ne fut que plus tard, qu'elle réussit à hurler.

Reclue dans la chambre de Paul, elle ne l'avait pas quittée pendant de longs jours. Elle ne voulait voir personne. Elle voulait sentir son odeur pour toujours. Georges venait chaque jour lui apporter à manger, mais elle jetait ses repas par la fenêtre. Tout le monde était au courant. Elle entendait les voisins parler d'elle avec pitié.

— La pauvre femme, perdre son mari, puis son unique enfant... comment voulez-vous qu'elle soit normale après ça ?

Pour toute réponse, elle leur jetait des livres sur la figure pour qu'ils se taisent. Puis sa fatigue l'avait vaincue. Amorphe, Georges Mills l'avait conduite à l'hôpital et elle avait été prise en charge. Des médecins et des psychologues travaillèrent sur son cas. Monsieur Mills venait chaque jour à la même heure pour la veiller. Elle refusait de lui parler. Il lui avait menti. Il l'avait trahie.

Au bout de deux mois, elle reçut l'autorisation du psychiatre de quitter la clinique dans laquelle elle avait été transférée. Georges l'attendait devant, dos posé sur la portière arrière de sa voiture. Ils avaient discuté, elle lui avait pardonné. Il n'était pas responsable de sa mort, d'ailleurs personne ne l'était. Leur relation avait repris, doucement, mais sûrement. Le mariage eut lieu deux ans auparavant.

De l'autre côté de la planète, Lydie avait bien grandi. Après un an à errer seule dans sa forêt, la jeune fille avait décidé de rejoindre la ville de Omsk. Elle ne pouvait pas passer à côté de la vie humaine, elle voulait essayer. Surtout que la ville sibérienne n'était pas la plus agitée, ce serait un bon départ pour elle.

Elle était entrée dans une boutique au hasard et avait demandé ce qu'elle devait faire pour avoir un lit et de la nourriture. On lui avait donné un tablier. Elle travaillerait en cuisine pour les clients de l'auberge. Elle avait déclaré qu'elle ne savait pas cuisiner, on lui avait répondu qu'elle apprendrait. Et ce fut ce qu'elle fit et très bien en plus.

Au bout d'un certain temps, l'aubergiste commença à lui verser un petit salaire. Elle travaillait bien et ne coûtait pas beaucoup en nourriture, elle méritait d'avoir un peu d'argent de côté pour avancer dans la vie. Elle avait lu, beaucoup. Après avoir écumé la bibliothèque de la ville où monsieur Nickichine ne travaillait plus, elle avait trouvé un autre refuge. Un vieil homme veillait toujours sur les livres de sa librairie déserte. Il la laissait lire sans acheter, ça lui faisait du bien de voir un peu de jeunesse entre les cloisons de sa boutique.

Bientôt, la ville de Omsk devint trop petite pour la soif de Lydie. Elle voulait plus, elle voulait connaître la grande ville. Elle était prête. Elle avait réservé un billet pour Lyon grâce au petit matelas qu'elle avait mis de côté. Elle avait pensé aux garçons. Qu'étaient-ils devenus ?  

Joe pensait souvent à Lydie. Certes du haut de ses vingt-six ans il avait connu plusieurs filles. Des belles, des moins belles ; des grandes, des petites ; il n'avait pas lésiné sur le nombre, mais jamais il n'avait retrouvé le truc. Il avait recherché sans relâche le frisson qui l'avait parcouru quand il avait embrassé Lydie dans la forêt, mais sans succès. Il s'était alors réfugié dans le travail.

Il voyait Henry de temps en temps, mais leur lien d'amitié n'était plus le même depuis que Paul les avait quittés. Et puis, ils étaient adultes désormais. D'ailleurs, ils devaient se voir aujourd'hui. Il prépara ses affaires et prit sa voiture pour rejoindre l'appartement de son ami. Il tapa le code et grimpa les marches de l'escalier deux à deux.

Lydie était arrivée à Lyon il y avait plusieurs mois de ça. Elle avait postulé dans plusieurs restaurants et avait trouvé un poste dans une brasserie. La jeune femme avait ensuite trouvé un petit appartement au loyer raisonnable et fait des recherches sur Internet. Elle voulait retrouver Henry et Joe. Elle les avait googlés et était tombée sur un article qui parlait d'Henry Mills, futur avocat de renom.

Il avait gagné une importante affaire et cela lui avait donné de la visibilité. Elle avait regardé la photo. Elle reconnaissait ses traits, même s'ils étaient plus prononcés et que la barbe lui avait poussée. La jeune femme se demanda s'il se rappelait d'elle. Quelques recherches plus tard, elle avait eu une adresse et un numéro de téléphone.

Lorsque Joe traversa le seuil de l'appartement d'Henry, il fut surpris de tomber sur une silhouette féminine allongée sur le canapé. Pensant à une conquête, il fit un pas en arrière. La crinière rousse se mouva dans un coup de tête délicat.

— Joe ! cria la voix.

L'homme resta pétrifié. Serait-ce un mirage ? N'était-elle pas censée être en Sibérie ?

— Lydie ?

Elle se releva et approcha. En trois pas elle était dans ses bras et l'enlaçait tendrement. Le temps n'avait eu presque aucun effet sur elle. Sa peau était toujours aussi blanche, ses yeux toujours aussi intenses et sa chevelure... L'étreinte dura une minute avant qu'elle ne s'écarte et ne plonge son regard dans le sien.

— Tu avais raison, murmura-t-elle.

Elle approcha son visage du sien et l'embrassa. Et durant un instant, ils replongèrent dans l'immense forêt sibérienne. Paul était là, tout comme le père de Lydie et tout ceux à qui ils tenaient.

— Je savais que tu viendrais, chuchota-t-il. 

 

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La dernière tartineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant