Cyclothymie

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Cyclothymie. Je viens de trouver ce mot sur internet. Il est stylé, mais sa signification est assez chiante. En gros, c'est à cause de ça que beaucoup de HP sont en premier lieu diagnostiqués bipolaires.
C'est quand ce matin tu t'es levé, et ta vie est géniale. Tu as une journée remplie des cours les plus chiants en perspective, le temps est dégueulasse, il n'y a rien pour te rendre particulièrement heureux, mais ta vie est géniale.
Et puis le lendemain, c'est censé être une journée plutôt cool, sympathique, tu prévois de t'éclater (parce que la veille était géniale, tu te souviens) et puis en fait non. Ta vie, c'est de la merde, t'es une grosse merde, et tu arrives miraculeusement à trouver plein d'arguments imparables à ce fait irrévocable.
Ça peut être d'un jour sur l'autre, mais aussi d'une heure à l'autre, voire l'histoire de quelques minutes... Sans qu'il ne se soit rien passé. C'est encore plus vrai à l'adolescence, avec les hormones, tout ça... De véritables montagnes russes émotionnelles, comme on dit. Envie de rire, envie de pleurer, envie de tous les prendre dans mes bras en disant "Je vous aime les copains !", envie de me barrer d'ici au plus vite, le plus loin possible...

Et puis, il y a la déprime. Quand tu ne veux plus rien faire. Ce n'est pas vraiment de la flemme, la flemme, on peut la combattre. Non, c'est vraiment une non-envie totale pour toute activité potentielle. En plus, c'est couplé à un ennui dévastateur, du coup tu te sens coupable, parce que les autres te disent :"si tu t'emmerdes, bouge-toi le cul !!" Oui. C'est vrai. Mais non-envie. En général, je dirais que je suis en période dépressive (c'est subjectif, je ne suis pas médecin) pendant les vacances. Ben oui, c'est le moment où je suis le plus seule avec moi même. Où je peux le plus penser à l'avenir, et au fait qu'on ne peut pas le prévoir. Et puis pourquoi faire des choses quand elles ne sont jamais à la hauteur de leur projection ?
Mais en ce moment, je crois que je me laisse aussi gagner par la déprime à l'école aussi... C'est pas joli-joli, vous savez. On me dit que je n'ai plus que deux ans à tenir. Le problème, c'est que je ne sais toujours pas quoi faire, dans deux ans. J'aimerais que ça passe vite, mais en même temps, c'est censé être les "plus belles années de ma vie"... J'ai l'impression qu'on me bouffe mon temps libre pour des choses inutiles. Je n'ai plus envie de sourire, de participer en classe, de réfléchir...

J'ai comme une amertume derrière mes pensées : " si seulement on l'avait compris plus tôt." Si seulement mes parents l'avaient vu. Si seulement mes profs de primaire et de secondaire l'avaient vu. Si seulement quelqu'un m'en avait parlé plus tôt. Si seulement j'avais compris plus tôt...
J'aurais adoré. J'aurais adoré être dans une petite classe avec que des gens un peu comme moi sur ce point, qui me comprennent mieux. J'aurais adoré qu'on me laisse gérer mon travail comme je l'entends. J'aurais adoré avoir des profs qui s'intéressent à chacun d'entre nous, qui ont pour cible uniquement notre développement personnel. J'aurais adoré pouvoir zapper certains passages, en approfondir d'autres.
C'est vrai que ces écoles avec des aménagements comme ça sont rares. Qu'on se serait sûrement contenté de me faire sauter des classes. Mais ça m'aurait quand même tellement apporté, ça m'aurait permis de me construire dans ces années de souffrance, à ne pas comprendre, à me sentir mal...

Je ne peux pas m'empêcher de me dire que c'est parce que je suis une fille. On repère toujours mieux les garçons, parce qu'on leur apprend déjà tout petits à dire ce qu'ils pensent, que nous, c'est plutôt ferme ta gueule et soit sage. Aie de bonnes notes. Fais comme les autres, sois discrète.
J'ai fais comme les autres, j'ai fermé ma gueule, j'ai ramené un bon bulletin à la maison. Papa et maman étaient contents. Mes profs écrivaient toujours "élève studieuse" en appréciation. C'est bien. Aucun d'entre aux n'a jamais fait allusion aux gribouillis qui couvraient mes cahiers.

Peut être que j'aurais dû. Je vous l'ai déjà dit. Peut être que j'aurais dû faire filer ma moyenne vers les Enfers. Mais je crois que ça n'aurait rien changé. Mes parents l'ont vu, que je n'étais pas bien. "Qu'est-ce qui ne va pas ?" "Je m'ennuie, papa." Régulièrement. Tout les trois mois, peut être, on avait cette conversation, mon père et moi. "Je ne te trouve pas épanouie, ma fille." On essayait de trouver des solutions. Mais celles-ci devaient toujours venir de moi. Alors je replongeais. Et je replonge toujours. Au moins, aujourd'hui, je sais pourquoi ça fait ça. Ce n'est pas parce que je suis en pleine "crise d'adolescence", ce n'est pas parce que je suis folle ou incapable d'être heureuse. C'est simplement parce que je pense beaucoup trop pour ce que je suis.

Le problème, aujourd'hui, c'est que je n'en ai pas la preuve irréfutable. Même si j'en ai la quasi-conviction, ça ne suffit pas pour pouvoir dire aux profs que ça m'emmerde de faire mes exercices si on les corrige en cours, de participer si ça paraît évident, de les écouter en les regardant fixement si je peux suivre en faisant autre chose (genre, dessiner). Et que c'est compliqué pour moi de travailler en groupe.
Et pour les autres, aussi. Mes amis, par exemple. Comment leur dire que parfois, ma vision des choses vaut autant la peine d'être considérée que la leur, même si je n'ai pas toutes les cartes en main pour leur expliquer ? Comment leur faire comprendre mes sautes d'humeur, mes impatiences, mon sentiment de solitude, mon ennui parfois en leur présence ? Comment leur dire que je ne suis pas forcément la gamine pleine de mauvaise foi que je dois leur apparaître ? Comment tout leur dire sans sembler incroyablement prétentieuse et imbue de ma personne ?
Ce manque de preuve m'empêche de m'expliquer avec le reste du monde sur certains sujets. C'est problématique. Peut être qu'un jour je passerai ce fichu test qui me fait défaut simplement pour me sentir légitime.

C'est triste d'être obligé de se coller soi-même une étiquette pour se faire entendre, non ? J'ai mis tellement d'années pour arracher celle de l'intello coincée... Je ne veux pas que ça recommence. Je veux me définir moi-même, même si ça prend du temps. Je veux pouvoir dire que j'aime les contradictions à leurs extrêmes, la subtilité dans l'humain, les couleurs, poser des questions "à la con" (comme disent mes parents), obtenir des réponses, créer de vraies choses, réussir, faire rire les autres, la véritable originalité... Je veux pouvoir dire ce que j'aime, ce que je déteste, ce que je suis. Il faut que je réapprenne tout ça, ou peut être que je l'apprenne. J'ai oublié ce que j'avais commencé à construire avant de me retrouver face aux autres. Je veux le retrouver, reprendre un chemin de construction sain, vrai, qui me corresponde et qui ne me permette pas juste de m'adapter.

Dire qu'on était partis de cyclothymie.

C'est un code barreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant