Chapitre 3

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Arrivé là-bas, il prépara les appâts et accrocha les vers des coques de palmiers aux hameçons, qui commencèrent à émettre un cri plus grave, un cri de douleur. Ki avait remarqué que dans l'eau, ce cri étouffé n'effrayait pas les poissons, au contraire il attirait leur attention sur le ver rendant la pêche bien plus facile, une astuce, enseignée par sa mère, qui était passé à travers toutes les générations des Eo.

Il lança sa ligne et s'assit dans la pirogue. Les poissons Hoïu ne devraient pas tarder à mordre.

En attendant, il observa l'horizon. Le simple son des vagues frappant la pirogue suffisait à le plonger dans son esprit. Il oubliait où il était et laissait son inconscient l'emmener où il voulait, cette fois, il se remémora le jour où Séa se blessa sur un rocher saillant. Il se rappela de la panique qui lui prit à la gorge quand il entendit son cri déchirant. Il avait accouru et tout le sang qui coulait lui fit croire qu'elle allait mourir, heureusement, même si la blessure était profonde, elle était bénigne. Séa n'eut pas de mal à rentrer à la maison avec Ki pleurant à son côté. Il était heureux que sa mère soit si forte parce qu'il n'aurait rien pu faire s'il avait eu à s'occuper d'elle. 

Son esprit continua à dériver pendant un moment, quand il reprit ses esprits, les soleils avaient déjà un peu avancé dans le ciel. Ki regarda sa ligne, peut-être avait-elle bougé mais il ne s'en était pas rendu compte.

Peu de temps après, la ligne tremblota et toute la canne commença à bouger. Il devait être gros. Ki ferra, mais il n'y avait aucune résistance, le poisson devait être très fatigué. Mais lorsque l'hameçon sortit de l'eau, il n'y avait rien au bout.

Toute la pirogue se mit à trembler, les vagues grandissaient en hauteur, de plus en plus jusqu'à faire tanguer la pirogue.

La mer, qui était pourtant si calme, s'était en un instant réveillé. Depuis les profondeurs montait un son vibrant, emplissant toute l'atmosphère. 

"C'est aujourd'hui ?" pensa Ki, s'agrippant à la pirogue.

Le jour où l'Homme frapperait était bel et bien arrivé, Ki était sur l'eau et pourtant, il pouvait sentir le tremblement de terre.

Les palmiers étaient secoués, les oiseaux s'enfuyaient de leurs nids, il pouvait même voir les crabes retourner à la mer tant ils étaient nombreux. Puis il regarda sa maison, angoissé, cherchant des yeux sa mère, espérant qu'elle soit là pour l'aider.

C'est là qu'il entendit un vrombissement assourdissant, tellement puissant que Ki eut l'impression qu'il causait le tremblement de terre. Il en chercha la provenance autour de lui, paniqué, alors que la pirogue était sur le point de chavirer.

Et il la vit ; une île émergeait de l'eau au loin, presque au bord de l'horizon, il n'y avait rien à sa surface, elle était d'une couleur noire foncée et elle continuait à grandir en taille, à tel point que ça ne ressemblait plus à une île. Elle avait une forme trop arrondie. Ki pensa alors à un volcan. Séa lui avait racontée que les volcans naissaient dans l'océan mais ce n'était pas un volcan. Ça ne ressemblait à rien. C'était bien trop grand.

La pirogue chavira, jetant Ki à la mer. Il savait très bien nager mais la surprise le mit en état de choc, il mit quelques secondes avant de se rendre compte qu'il était sous l'eau et lorsque il reprit ses esprits, il nagea hasardeusement vers la plage qu'il apercevait brièvement. Lorsqu'il toucha le sable et sortit de l'eau, il se retourna sans se soucier du tremblement de terre pour observer la chose qui sortait de l'eau.

Séa ne lui avait jamais parlé d'une telle chose.

Une tortue d'une taille phénoménale était en train d'émerger, plus grande que son île, plus grande que les soleils jumeaux, peut être même plus grande que le point le plus profond du Grand Océan. Ki la voyait très bien malgré la distance phénoménale qui les séparaient.

La forme noire qu'il croyait être une île ou un volcan était en fait sa carapace.

Des nageoires étaient repliées contre elle semblable à celle que possède les tortues dans la mer.

Mais cette tortue n'utilisait pas ses nageoires, mais des pattes comme celle des lézards de l'île, en bien plus long, elles étaient anormalement fines comparées au corps de la tortue.

Tout en sortant de l'eau, elle marchait avec une lenteur extrême dans la direction que sa tête gigantesque regardait. Ses yeux étaient d'une couleur similaire à celle du ciel la nuit, complètement noirs, on ne pouvait imaginer où elle regardait seulement grâce à l'orientation de sa tête, elle observait fixement un point lointain que sûrement elle seule pouvait voir.

La présence de la tortue titanesque était oppressante, mais pas à cause de sa taille. Ki ressentait qu'elle l'observait aussi, même sans le regarder.

Puis, le tremblement de terre passé, Ki se calma et réfléchit.

Il pensa à sa maison, se retourna, son visage en sueur marqué par l'angoisse soudaine.

Il chercha des yeux les murs familiers qu'il avait l'habitude de voir, mais le paysage avait changé. Quand enfin il trouva sa maison, seul le pont tenait encore debout. 

Sa maison s'était effondrée.

Mhuhar Le Grand Océan : Ki - Première partieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant