Chapitre 36

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"La peur ?" articula Ki.

Comme s'il était fatigué, des gouttes de sueur perlaient sur le visage de Hun. Ses yeux étaient livides.

 Le vieil homme reprit son sang-froid et se leva.

"Je l'ai suivi par curiosité, mais maintenant que je ressens cette peur, je ne peux que redouter ce que cette chose peut représenter."

"Vous ne pouvez pas en savoir plus ? Je veux dire, vous m'avez amené ici, alors vous pouvez peut-être la trouver aussi, vous pouvez savoir ce que c'est."

Hun grogna. 

"Je ne peux pas, même si je le veux. La seule raison pour laquelle je t'ai trouvé, c'est parce que tu es mon petit fils. Il semblerait que je ne peux voir que ma famille et il n'y a plus que toi."

En disant cela, Hun comprit son erreur et regarda Ki, redoutant sa réaction, mais le garçon paraissait concentré, observant le feu de camp. Hun expira, serrant le poing derrière son dos.

"Ce n'est pas notre problème pour l'instant. Ki, tu n'as pas réussi à faire du feu, car tu n'as jamais appris, tout ce que tu sais faire pour ta survie, c'est courir et pêcher, mais cela ne te sauvera pas, tu ne sais même pas utiliser ton bouclier. Tu vas devoir apprendre tout ça, sinon tu ne quitteras pas cette île, garçon."

"Apprendre ? Vous allez m'enseigner toutes ces choses ?" demanda Ki

"Tutoie moi, et non, tu apprendras par toi même. Je t'enseignerais seulement les bases. Tout d'abord, comment faire du feu."

Ki acquiesça, et Hun lui demanda d'aller chercher des champignons à la couleur d'écorce sur les arbres comme combustible, et lui montra comment faire avec des bouts de bois. Il mit un temps court pour l'allumer, et demanda au garçon de faire de même. Il lui fallut toute la journée pour démarrer le feu, il changea de bois plusieurs fois, et une petite flamme naquit à la tombée de la nuit. Hun n'avait pas bougé mais avait déjà préparé des poissons pour les cuire.

Le visage radieux de l'enfant fit naître un grand sourire chez le vieil homme. Pour la première fois, il ressentit ce que c'était qu'élever un enfant. Il ne savait pas si c'était lui ou le grand père qui ressentait cela, mais à en croire ses souvenirs, le pauvre homme n'eut jamais l'occasion de le faire.

Il continua de regarder Ki, qui mangeait comme un adulte. Le garçon remarqua que l'homme ne touchait pas à la nourriture, alors, même en sachant qu'il n'en avait pas besoin, il lui tendit une brochette de poisson.

Hun hésita, puis prit la brochette et mordit dedans. Cela le remplit de bonheur. Le goût n'était pas fameux, à vrai dire, c'était même fade comparé à la nourriture qu'il avait déjà mangé, mais ce n'était pas ce qui le rendait heureux. Pendant un instant, il était le grand père de Ki.

Depuis des années, il était vide. Il ne se sentait pas comme quelque chose de vivant, il était resté comme il était avant, dérivant d'univers en dimensions, réduit à une petite île, confiné. Mais après avoir vu les yeux de sa fille s'illuminer dans le ciel étoilé, puis après avoir vu son petit fils lui donner à manger après lui avoir enseigné comment faire un feu. Il avait finalement compris ce qu'il devait faire, il avait trouvé sa raison d'être.

"Ki, de tout le temps que je resterai ici, je te protégerai, j'en fais le serment."

Les mots sortirent simplement, comme s'il était guidé.

Ki, en tant qu'enfant, comprit son message comme il avait été dit.

"Merci, Hun." répondit-il.


Ils finirent de manger en discutant de la manière d'améliorer le feu de camp de Ki avant de retourner dans la maison.

Dans son lit, il repensa à la conversation à propos de l'entité qui était arrivé d'ailleurs, il n'avait pas eu de mal à accepter tout ce qu'il avait appris en si peu de temps, comme un enfant absorbe les histoires des anciens du village. Son esprit tiqua sur un moment dans la discussion, quand Hun annonça qu'il ne pouvait voir que les membres de sa famille. Il pouvait voir Séa et savait ce qui s'était passait. 

Il serra les poings, Hun savait tout sur ce qui leur étaient arrivés et il n'a rien fait, malgré ses pouvoirs. Il se leva immédiatement et sortit de sa chambre mais il n'était pas là, n'ayant pas besoin de dormir. Ki regarda dehors et le vit au bord de l'île, agenouillé.

Il se précipita dehors vers lui.

"Hun ! Pourquoi tu n'as pas sauvé maman ?! Le jour où elle s'est fait capturer, tu aurais pu la sauver, le jour où nous nous sommes battus, pourquoi n'as tu rien fait, hein ?" cria-t-il.

Il arriva à son niveau et vit le vieil homme en larmes, son visage décomposé.

"Je n'avais jamais ressenti ça dans ma vie d'avant ; la tristesse. Depuis tant d'années, je souffre seul parce que je n'ai rien fait ce jour là."

Ki s'arrêta d'avancer mais il était trop en colère pour comprendre.

"Tu crois que tu es la seul à souffrir ? Tu crois que moi, qui ai tué ma propre mère, je n'ai pas plus souffert que toi, tu n'as rien fait ? C'est cent fois mieux que ce que j'ai fait ! Mais tu aurais pu nous sauver tous les deux ! Tu aurais pu éviter la mort de maman !" cria Ki, au bord des larmes.

"Je sais, garçon, je sais ! Je n'ai rien pu faire et je m'en mords les doigts chaque jour depuis sa mort, je n'ai pas pu vivre en paix, moi, un ura'nagaha, je n'ai pas pu être heureux alors que j'avais accompli tout les souhaits du grand-père. Il n'a jamais voulu voir sa fille, il n'y était pas attaché, alors pourquoi je fond en larmes à chaque fois que je pense à ce moment. Pourquoi, hein ?" se lamenta Hun, effondré sur lui même.

Le garçon recula, après tout cela, il ne savait pas quoi dire.

"Pourquoi n'as tu rien fait ?" chuchota-il.

"Je ne sais pas ce qu'il se passait, une partie de moi refusait alors que l'autre me criait d'agir, pourtant, je n'ai rien fait. Je me rappelle, quand j'ai vu ses souvenirs, il n'a jamais connu sa fille, alors la voir pour la première fois dans une vision, aussi grande et avec un enfant, ça ne m'a rien fait. Je ne ressentais rien. Mais mes émotions ont grandi petit à petit, et puis elle s'est fait capturer, mais c'était trop tôt, je ne savais rien de ce que j'étais et de ce qui se passait, et puis je vous ai vus vous combattre, je ne sais pas pourquoi, mais je n'ai pas agi. J'espérais que cela se finirait bien. Et le lendemain, la tristesse s'empara de moi, puis le désespoir. Je suis désolé Ki, profondément désolé."

Ki se jeta dans les bras de Hun, pleurant encore, comme la veille. Sous les yeux de Séa.


Hun repoussa gentiment son petit-fils et le regarda ; 

"Tu dois dormir, garçon. Allez, rentre à la maison. A partir de demain, je ferais de toi l'homme que Séa voulait que tu deviennes."






Mhuhar Le Grand Océan : Ki - Première partieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant