Le Baron Gruenewald

CHAPITRE X

AIDAN

   L'aura rougeoyante du crépuscule couvrait à présent le bois. Au sein de la vallée, la bise automnale faisait frémir les cimes rougeâtres et orangées des grands hêtres et des bouleaux. Cela faisait bien deux longues heures qu'Aidan pistait cette biche. À l'affût, prenant soin de calculer le moindre geste, il avait pris soin de marcher sous le vent afin de ne pas dévoiler son odeur à sa proie. Muni de son arc et d'un carquois de cuir à la ceinture, il écoutait la forêt. Enfin, il entendit le léger chant d'un ruisseau et remarqua que les troncs se faisait plus espacés.

   Il atteignit, accroupi, la lisière d'une petite clairière, où une demi-douzaine de biches et de faons s'étaient arrêtés pour brouter et boire au ruisseau. Fort de sa trouvaille, il entreprit d'encocher une flèche et examina le troupeau. Il trouva une proie idéale, elle boitait et se tenait non loin de l'eau, retenant sa respiration quelques instant, il banda son arc en sa direction. Tel un oiseau de proie piquant sur du gibier, le trait traversa la clairière et vint se planter dans le cuissot de la bête, avec l'impact, celle-ci manqua de tomber et le troupeau, apeuré par le danger inconnu, se mit à détaler.

   Aidan sorti de sa cachette, il avait touché la biche au bon endroit pour qu'elle saigne assez afin qu'elle s'épuise et laisse des traces. Il n'eut plus maintenant qu'à suivre la piste ensanglanté où il trouverait la biche morte, laissé par le reste du troupeau. Cette chasse avait été rude, devoir crapahuter sans faire de bruit sur de longues distances dans le froid, l'humidité de l'automne et l'obscurité grandissante était éprouvant, même pour le chasseur aguerri de bientôt vingt ans qu'il était.

   Son rôle et celui de chasseur en général était primordial au sein d'un village de campagne. C'était les chasseurs qui avait la lourde tâche de ramener de la viande au village quand celle-ci n'était pas acheté autre part ou que les animaux des fermes ne suffisaient pas. Il vendait la viande au boucher, qui vendait la peau au tanneur, qui confectionnait du cuir utile pour le forgeron et les autres villageois.

   Aidan était à nouveau entré entre les arbres, suivant les tâches de sang. Après quelques minutes de marche supplémentaires, à s'enfoncer toujours plus dans le bois, l'air devint plus humide et les feuillages des arbres masquaient les lueurs de la nuit. À travers les feuillages touffus, il s'étonna à distinguer une construction de pierre, en sortant du couvert des arbres il examina le lieu. Il avait vu juste, une vielle chaumière aux fondations et murs de pierres couvertes de mousses et de lierres, au toit de bois vermoulu et de chaume humide se trouvait là. Elle avait l'air de faire partie intégrante de la forêt, tant elle en avait pris les couleurs et un voyageur inattentif serait sans doute passé à côté sans la remarquer car elle se fondait parfaitement dans le décor.

   Malgré l'absence de tronc dans ce semblant de clairière, les longues branches des arbres feuillus créaient un dôme, laissant passer la lumière seulement par quelques endroits éparses. Le sol et les troncs alentours étaient couverts de lierre, comme si un tapis d'Émeraude avait été posé à cet endroit. La masure était apparemment silencieuse et inhabitée et aucun bruit de la forêt ne brisait ce silence pesant qui s'était installé depuis son entrée dans la clairière. Aidan commença à tourner autour de la maison tout en se rapprochant de plus en plus pour l'examiner, elle devait être vielle de plusieurs siècles, estima-il. Pourtant, lui qui était né dans cette région et qui avait chassé depuis l'enfance dans ces bois ne l'avais jamais vu et n'en avais jamais entendu parler.

   En faisant le tour de l'édifice, il tomba sur sa proie, morte, étendu dans une petite flaque de sang au pied du mur sous une fenêtre. Seule la pointe de la flèche était rester planté, le reste avait été brisé par la fuite dans la forêt. Il s'approcha pour extraire la pointe en métal qui pourrait resservir, puis, piqué par la curiosité il colla sa tête contre la fenêtre aux carreaux sales afin de voir au travers, mais l'intérieur étant plongé dans l'obscurité, il ne vit rien.