Rien à perdre

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Je me réveille le lendemain matin, encore emmêlée. Je suis toute courbaturée d'avoir dormi dans une position inconfortable. Mes habits sont fripés, mes cheveux pleins de nœuds. J'ai une mine affreuse avec mes cernes jusque par terre. Je ne peux pas sortir comme ça. Je me rends dans les toilettes et me débarbouille au lavabo. Ce n'est pas beaucoup mieux. Je crois me rappeler qu'il y a une douche à l'étage au-dessus. Effectivement, me laver est beaucoup mieux. Je me change aussi. Mais je n'ai qu'un change. Il va falloir que je trouve un endroit pour laver mon linge ou je devrais rentrer chez moi. Je ramasse mes affaires et sort discrètement du hall. Personne ne doit me voir, je ne suis pas censée être là. Je me balade dans les rues. Il fait beau, le soleil brille déjà dans le ciel. Pourtant il ne fait pas chaud, il est encore tôt. Les rues sont désertes, tout le monde dort encore. C'est beau. Le silence, la légèreté de l'air sont beaux. Je m'achète un petit pain que je déguste, assise sur un banc. Je savoure ma solitude, pour une fois. Je hume l'air frais. Le bonheur serait-il en train de revenir ?

Je sors les papiers de mon sac pour les parcourir encore une fois. Je relis encore une fois les pages de compte en banque, avec certaines données surlignées par ma mère. Les annotations en marge « leur faute ! » « Truqué » sont nombreuses. Il y a même « mort » ! Je ne sais que penser. Cela ne m'aide pas du tout. Je vais retourner au café ce matin. S'il y est, je pourrai tirer cette histoire au clair. C'est un mystère si sombre, si épais que je ne sais par où commencer pour le résoudre. Peut-être pourra-t-il m'aider...

***

10h. Je viens d'arriver au café. Elle n'est pas encore là. Et si elle ne venait pas ? Le doute s'insinue lentement dans mon esprit. Je ne la connais que depuis hier mais elle a déjà pris une importance capitale dans ma vie. Tout mon monde tourne autour d'elle. J'ai comme l'impression que le destin nous a mis sur le même chemin. Je n'ai jamais cru au destin, pourtant rencontrer cette fille n'était pas un hasard. C'est impossible.

***

J'hésite à entrer. Et s'il n'était pas là ? Ou pire s'il ne voulait pas me revoir ? S'il m'avait déjà oubliée ?

***

Ca y est, elle est là. Elle entre doucement, hésitante, comme si elle avait peur. Je n'avais pas remarqué à quel point elle était belle, hier. Elle regarde autour d'elle, apeurée. On dirait qu'elle cherche quelqu'un. Peut-être moi ? Non, sûrement pas. Je me fais des films, comme d'habitude.

***

Ca y est, je l'ai vu. Il me regarde. Je m'approche lentement de sa table. Et s'il me rejetait ? Il sourit. Je m'assois. « Bonjour », murmure-t-il. Je réponds sur le même ton, comme si briser le calme environnant était sacrilège. Je suis un peu gênée. Depuis combien de temps n'a-t-on pas été aussi gentil avec moi ? Je ne m'en souviens même pas. Mais lui ne connaît pas mon histoire, il ne connaît pas mon passé. Il ne me juge pas. Il me demande comment je vais, je réponds « pas très bien ». J'ai envie d'être sincère avec lui. Pourquoi lui mentir ? Il ne me demande pas pourquoi, ne pose pas d'autres questions. Il dit juste, doucement : « Ne t'inquiète pas. Tu n'es pas seule. » Et cette formule magique suffit à me réconforter.

Nous restons un long moment en silence. J'ai peur de le briser, peur qu'en posant les questions qui me trottent dans la tête, il se vexe, parte ou ne m'adresse plus la parole. C'est lui qui commence finalement : « Je t'ai vue hier soir. » Ce n'est ni une question, ni un reproche. Juste un constat. Je réponds simplement « Je sais. » quand j'aurais voulu lui poser un milliard de questions. Soudain j'éprouve le besoin de me confier à lui. Je lui raconte tout. Je lui parle de mes problèmes, du lycée devenu insupportable, de ma mère disparue. Je lui raconte ma solitude. Je passe sous le silence la mort de mon père, mes problèmes d'argent, et le fait que je sois sans abri. Il ne répond rien. Il reste silencieux un long moment, comme s'il essayait de digérer toutes les informations. Enfin il dit : « Je comprends. Au final, il m'arrive à peu près la même chose. Je cherche ma mère, c'est pour ça que j'étais là-bas hier soir.». Il fait une pause et frissonne, avant de reprendre « Je cherchais des infos. Je crains de ne pas en avoir trouvées. Il va falloir que je recommence du début. Moi aussi j'étais seul à l'école. Les autres ne me comprenaient pas. Alors je n'y vais plus, comme toi. » Nous discutons encore un peu, et puis il doit partir. Il ne me dit pas où, ni pourquoi. Il précise juste « On va me chercher sinon. » En partant, il me fait un signe de la main et chuchote « à demain ». Ce n'est qu'à ce moment-là que je me rends compte que je ne sais toujours rien de lui, pas même son nom.

***

Je n'imaginais pas sa vie comme ça. Mon Dieu ! La pauvre. Elle ne m'a pas parlé de son père. Est-elle orpheline, comme moi ? Non, elle ne l'est pas. Elle a encore une chance de retrouver sa mère, elle. Elle n'a pas attendu des mois avant de sortir de la léthargie dans laquelle le destin l'avait placée. Elle a décidé d'agir tout de suite. Pas comme moi. Je ne veux pas perdre espoir, car seulement à ce moment-là j'aurai totalement perdu. Mais d'un autre côté, que me reste-t-il ? Rien. Je suis seul. Ou du moins, je l'étais. Car maintenant, je l'ai rencontrée. Je l'aiderai. Ensemble, nous y arriverons.

***

Je ressasse encore et encore les derniers évènements. Je n'arriverai jamais à rien. Maintenant qu'il est parti, c'est si simple de se laisser aller au désespoir. J'y trouve même un certain réconfort.


Je m'en veux de la laisser ainsi. Qui s'occupera d'elle si je ne suis pas là ? Elle est seule. Seule au monde. Je voudrais tellement l'aider. Mais comment ?

***

Il faut que je me ressaisisse. Le désespoir ne fera rien pour moi. Je vais partir sur la première piste avancée par ma mère. Les notes en marge qu'elle a laissées ne peuvent que m'aider. J'irai, je n'ai pas le choix. De toute façon, je n'ai rien à perdre.

Rien n'arrive par hasardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant