Rien n'arrive par hasard. C'est ce que ma mère me répétait chaque jour. C'était sa phrase fétiche, sa devise. Mais elle a disparu, et chaque jour je me demande pourquoi. Cet adage qui auparavant semblait tout expliquer, me parait aujourd'hui dénué de sens. Si rien n'arrive par hasard, alors pourquoi a-t-elle disparu ? Ma vie n'était-elle pas déjà assez compliquée avant ? Maintenant que je suis seule au monde, rien ne va vraiment plus. Et si la Terre ne présentait déjà pas beaucoup de sens avant, à présent elle ne tourne juste plus rond. Mon père ? Envolé. Mes amis ? Il n'y en avait jamais vraiment eus. Quelques camarades de passage, rien de plus. Personne à qui me confier, avec qui oublier la réalité. Et maintenant ma mère. Morte ? Enlevée ? Je ne le saurai probablement jamais. Mais s'il y a une raison à cette disparition, j'espère qu'elle sera bonne. Parce que je suis seule. Seule au monde.
Lundi matin, lorsque je pénètre dans la cour du lycée, je sens les regards se tourner vers moi, lourds de sens. Ainsi ils savent. Je pensais que la police ferait attention, éviterait d'ameuter toute la ville. De toute évidence, je me trompais. Avant ce matin, aucune de ces personnes qui me dévisagent avec curiosité ne me prêtait la moindre attention. On m'ignorait, et c'était bien mieux comme ça. Tous les yeux sont posés sur moi, tout le monde épie mes pas. Et le pire dans tout ça ? Il n'y a aucune compassion. Juste de la curiosité, du dégoût, ou que sais-je encore ? Je ne veux pas de leur pitié, je ne supporte pas d'être traitée comme un animal de foire.
En entrant en cours, rien ne s'arrange. Les regards sont encore plus insistants, et les murmures ne prennent même pas la peine de s'arrêter sur mon passage. « Regarde-la, elle n'est même pas triste, je suis sûre que c'est sa faute, je l'ai toujours trouvée méchante » « c'est bien fait pour elle », ricanements, hypocrisie, regards mielleux,... À la fin du cours, le professeur me prend à part, et me dit « Si vous avez besoin d'aide, mademoiselle, besoin de vous confier, d'un peu plus de temps pour les devoirs,... n'hésitez pas, je suis là ». Et malgré son semblant d'empathie, ses yeux ne mentent pas. Je ne suis pas dupe, il a le même avis que les autres. Alors je réponds : « Je pense que ça ira monsieur, mais merci de votre sollicitude » avant de quitter la salle aussi vite que la politesse me le permet. Inutile de me faire coller maintenant.
Toute la journée, je ne suis pas attentive. D'habitude, lorsque je rêvasse, les professeurs ne manquent pas de me réprimander. Mais aujourd'hui, rien. Encore une manifestation de leur hypocrite compassion. « Elle est choquée, la pauvre... », « Avec ce qui lui est arrivé, c'est bien normal, laissons-la se reposer... »,... semblent dire leurs regards. Mais au fond de ces pensées, il n'y a qu'une seule vérité commune « Heureusement que ce n'est pas à moi que c'est arrivé... ». Les élèves, les professeurs, j'entends leurs sous-entendus, leurs allusions, le sens caché de leurs regards, ils pensent tous que je suis trop stupide pour comprendre. Ils résonnent dans ma tête, se retournent dans tous les sens dans mon cerveau, s'imprègnent et tournent en boucle, martèlent mon crâne et m'empêchent de songer à autre chose. Pourtant, il y a bien des choses que j'ai besoin de tirer au clair... Que lui est-il arrivé ? Comment ?
Pourquoi ? Cette dernière question surtout me tracasse. Jusqu'à maintenant, j'avais toujours cru que tout avait un sens. Je ne croyais pas vraiment au destin, ou à une quelconque forme surnaturelle qui décidait et choisissait pour nous. Mais rien ne pouvait arriver au hasard, sinon, pourquoi étions-nous sur Terre ? Ce jour-là, je n'ai pas seulement perdu ma mère, j'ai perdu ma philosophie. J'ai perdu le sens de ma vie.
Que fais-je seulement ici ? À bêtement prendre des notes sur des informations qui ne m'intéressent pas, à écouter le bla-bla ennuyeux de quelques personnes, qui pensent posséder le savoir ? Et surtout, entourée de gens qui me méprisent, tout en faisant semblant de compatir ? Mais que savent-ils des sentiments au juste ? Leurs cœurs ont-ils déjà éprouvés la moindre once de pitié ? Et de toute façon, en ai-je besoin, de leur pitié à la noix ? Ça ne me ramènerait pas ma mère, si ?
Et c'est donc là, en plein milieu d'un cours de maths, que je pris la plus grande décision de ma vie. La meilleure, ou peut-être la pire. Personne ne me rendrait ma mère. J'allais la retrouver moi-même.
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Rien n'arrive par hasard
Fiksi RemajaEst-ce que tu t'imagines, te lever un matin, et apprendre que ta mère a disparu ? Moi non plus, je ne l'imaginais pas. Avant que ça arrive. Mais maintenant, je suis seule. Et je dois à tout prix la retrouver. Parce que rien n'arrive par hasard.