L'appartement

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Je ne comprends pas. Que fait-elle ? Pourquoi n'est-elle pas au rendez-vous ? Certes, cela n'a jamais été officiel, mais voilà plusieurs jours que nous nous débrouillons pour nous retrouver, à la même heure, à la même table. M'abandonne-t-elle, ou bien est-elle en danger ?

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La porte est tellement abîmée que je n'ai aucun mal à l'ouvrir, elle tient difficilement dans ses gonds. Qui sait de quelles horreurs elle a été le témoin ? Je pousse la porte, effrayée à l'avance de ce que je vais trouver derrière. Une pièce petite et sombre, volets fermés. Des déchets en tout genre jonchent le sol, aussi recouverts de feuilles, stylos, plats sales, vêtements troués... Une tornade aurait pu passer qu'on n'aurait pas vu la différence ! Je m'approche des trois autres pièces donnant sur ce salon-cuisine. L'une est une salle de bain fuyante, au carrelage fissuré. Les deux autres sont fermées à clé. L'une semble vide. Dans l'autre en revanche, on entend clairement la respiration d'une personne endormie. J'ai l'impression de la reconnaître, comme si c'était celle de ma mère. Mais c'est impossible, ou du moins improbable. Le manque joue des tours à mon cerveau. Ne trouvant rien de ce côté-là, je m'attaque au bureau. Un paquet de feuilles, des comptes, des listes,... Des listes ?! Des dizaines de noms, parfois raturés, copiés sur plusieurs feuilles agrafées. Je me mets à chercher frénétiquement le nom de ma mère. Ce serait la preuve qu'elle est enfermée ici ! Soudain j'entends un bruit de pas. Quelqu'un est rentré dans l'appartement.

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Enfin, c'est impossible ! Elle est en danger, elle ne m'aurait pas consciemment abandonné ainsi, si ? Je suis rongé d'inquiétude. Comme pour la disparition de ma mère. Je la connais à peine, mais j'ai besoin d'elle. Elle ne peut pas disparaître comme ça !

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Je me glisse sous le bureau. Mon cœur bat si fort que j'ai peur qu'il l'entende. J'ai peur qu'il aperçoive mes pieds qui dépassent un peu, les papiers qui ont été fouillés, mes cheveux. J'ai si peur que je suis totalement immobile, comme paralysée. Il entre brusquement dans la chambre d'où j'avais entendu la respiration. « Debout là-dedans maintenant, feignasse ! », crie-t-il brutalement. J'essaye de voir l'intérieur de la pièce mais sa silhouette est si massive que l'embrasure de la porte est complètement obstruée. Comme la personne ne semble pas se manifester, il claque la porte en maugréant, sans oublier de la fermer à double-tour. Il ressort ensuite. Je soupire, mais décide de quitter cet affreux endroit du plus vite que je peux. Je n'ai pas envie de me retrouver nez-à-nez avec un de ces malfaiteurs.

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Je me morfonds à ma table, jouant tristement avec un stylo pour tromper mon inquiétude. Soudain je la vois, qui arrive toute échevelée, un rayon de soleil déchu qui entre dans ce café, rétablir l'amour dans mon cœur brisé par l'attente et le doute.

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Le rendez-vous au café m'était complètement sorti de la tête ce matin, je ne pensais qu'à retrouver ma mère au plus vite. « Désolée, vraiment. », je commence, avant de poursuivre avec toutes mes péripéties depuis hier matin. Il semble impressionné, mais je vois qu'il a peur en même temps.

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Qu'a-t-elle donc fait en moins de vingt-quatre heures ? Est-ce seulement possible ?

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Je ne lui précise pas que j'ai dormi dehors, je ne veux pas qu'il s'inquiète inutilement.

- Je vais y retourner cette après-midi. Il faut vraiment que je retrouve ma mère.

- Tu es folle ! C'est trop dangereux !

- Tu ne comprends pas ! Je ne vais pas attendre ici que quelque chose se passe, qu'un miracle se produise la laissant aux mains de ces brutes ! Toi aussi tu dois faire quelque chose pour la retrouver ! Si tout est lié, elle est peut-être là-bas !

- J'ai essayé, mais je ne la trouve pas ! Je n'ai rien d'autre à faire que d'attendre, je ne suis pas libre moi !

- J'ai conquis ma liberté ! À quoi sert de vivre sans but, et sans les personnes qu'on aime ? Elle crie presque.

Je connais la réponse. « À rien. » Mon ton triste la radoucit.

- Je t'en supplie, viens avec moi.

- De toute façon, tu as dit qu'il n'y avait qu'une pièce occupée.

- J'ai pu mal entendre ! Je t'en supplie ! Tu trouveras au moins des informations ! N'abandonne pas ! Ne m'abandonne pas !

- D'accord... Mais il faut prévenir la police.

- La police ? Sa voix se tend de nouveau.

- Nous n'avons que seize ans !

- Et alors ? J'ai seize ans mais j'ai trouvé en trois jours plus que la police n'a jamais trouvé en dix ans sur la mort de mon père ! Que t'as donné la police ? A-t-elle retrouvé ta mère ? Elle t'a juste placé en foyer et retiré ta liberté !

- Très bien. Allons-y.

Quel autre choix ai-je que d'approuver ? 

Rien n'arrive par hasardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant