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Encore une journée passée loin de ma mère, et je n'ai toujours aucune idée de comment la retrouver. Je ne sais plus où chercher. J'ai l'impression d'avoir tout fouillé. J'ai fouillé son passé, son présent. Qui peut vouloir à ce point anéantir son futur ?
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Un autre problème me tombe sur le dos. La nuit est proche et je n'ai aucun endroit pour dormir. Je vais être obligée de retourner à la maison. À nouveau, je fais du stop. Marcher toute l'après-midi, après la mauvaise nuit que j'avais passée, m'a épuisée. Une fois arrivée devant chez moi, je passe sous la bande que la police a laissée. Je jette mon sac dans un coin, mange un paquet de gâteaux qui reste dans le placard, et monte dans ma chambre. Je contemple une dernière fois la photo de ma mère et moi, deux ans après la mort de mon père, et m'endort immédiatement en souriant.
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Si je suis coincé ici, autant m'en servir pour réfléchir. Je n'ai rien d'autre à faire de toute façon, et c'est nécessaire. Pourtant je lutte pour ne pas me laisser aller au désespoir. Et si après tout ce temps, elle était morte ?
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Je me réveille à 8 heures en sursaut. Le téléphone fixe sonne. Je vais décrocher, méfiante. « Allo ? Tu es là ? J'ai essayé d'appeler plusieurs fois déjà hier soir dès que tu es partie, mais personne ne répondait. » « J'ai mis du temps à rentrer. », je réponds simplement. Elle enchaîne rapidement : « Ecoute, je n'ai pas beaucoup de temps. Je me suis souvenue que ta mère m'avait parlé de quelque chose d'important. Elle enquêtait sur la mort de ton père. Elle avait du mal à s'en remettre. Pendant longtemps, après l'annonce de sa mort par la police, elle a cherché des explications. Elle ne m'en a parlé que très brièvement, elle disait que si j'en savais trop, je serai en danger. Si j'avais su que ça allait mener à ça ! » « Merci de m'avoir prévenue. Je pense que ça m'aidera. ». Je raccroche. Je reprends des affaires, de la nourriture, de l'eau et fourre le tout dans un sac. On ne sait jamais. Il faut que j'aille au café immédiatement.
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Elle va arriver au café bientôt. C'est l'heure. C'est comme notre petit rituel à nous. Elle va arriver au café et je ne serai pas là. Je ne sais pas comment elle réagira. D'un côté, j'aimerais lui manquer, qu'elle se demande pourquoi je ne suis pas là, qu'elle soit un peu triste. Mais d'un autre côté, je ne veux pas l'attrister, je ne veux pas l'inquiéter. J'ai peur que si elle perde ce dernier repère, elle s'effondre. Je ne pourrai pas la rattraper. Pas cette fois. Je ne veux pas avoir cette responsabilité. Je ne veux pas qu'il lui arrive quelque chose. Il faut que je trouve un moyen de sortir de là. Et de la rejoindre.
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Ca y est, j'y suis. Il est encore tôt mais le café est bondé. Je le cherche des yeux parmi les tables. Il n'est pas là. Peut-être a-t-il eu un empêchement ? Peut-être est-il simplement en retard. Après tout, il n'y a pas d'heure pour ce rendez-vous informel. La lueur dans mes yeux vacille. Je la sens. Je dois me ressaisir. Il va arriver. C'est la seule option envisageable pour mon cœur à présent.
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Je dois ouvrir cette fichue fenêtre... Ca y est, je suis dehors. Je vacille. Je savoure le léger goût de la liberté. Pour combien de temps ? Je cours. Je dois arriver le plus vite possible auprès d'elle. Elle saura comment résoudre ça. Je le sens. Elle saura quoi faire pour retrouver ma mère.
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Il est très en retard. Et s'il ne venait pas ? Le désespoir me gagne un instant. Je serai à nouveau seule, seule au monde pour retrouver ma mère. Et même s'il me manque son infime soutien, la frêle carapace que j'avais réussie à construire s'écroulera. Et je ne garantis plus rien. Pas même qu'on me retrouvera vivante.
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Je cours, je cours du plus vite que je peux.
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J'en suis sûre à présent, il ne viendra plus. Je n'aurais jamais dû m'attacher à lui. Je m'apprête à me lever et partir quand la cloche du café carillonne. Je lève les yeux pour voir la personne qui entre. C'est lui.
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Elle voulait partir. Je l'ai lu dans ses yeux. Elle ne m'attendait plus. Elle pensait que je ne viendrais plus.
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Il est venu ! « Désolé pour le retard. Je crois que je dois t'expliquer quelque chose... » Il s'interrompt pour me laisser parler mais je n'ai rien à répondre. Il continue alors. « Je vis en foyer. Mon père est mort quand j'étais encore tout petit, et ma mère a disparu. Ça va faire deux mois. Alors ils m'ont placé dans un foyer. Sur le coup, ça m'a dévasté, et je ne m'en suis pas encore tout à fait remis. Ces derniers temps, j'enquête sur la disparition de ma mère, mais je n'ai pas grand-chose. J'y passe tout mon temps, pourtant. Du coup, je sèche. Quand le foyer a appris ça, la directrice m'a convoqué. Je suis privé de sortie maintenant, jusqu'à ce que « je me tienne mieux ». Pour venir, j'ai dû passer par la fenêtre. Je ne voulais pas te laisser seule et avoir l'air de t'abandonner. » Il marque une autre pose. « Si je te raconte ça, ce n'est pas pour me plaindre. C'est pour te supplier. Moi aussi j'ai besoin de ton aide. » « Je ne vois pas en quoi je pourrais t'aider. Je suis encore plus perdue que toi » je réponds. « J'ai beaucoup réfléchi cette nuit. Je pense que tout est lié. » Je ne suis pas sûre de comprendre. « Comment ça tout est lié ? » « La disparition de ta mère et celle de la mienne. » M'écrier : « C'est impossible ! » est mon premier réflexe. Mais passée ma surprise, je dois avouer que cela se tient. Nos deux vies se ressemblent étrangement. Il voit que je comprends et me dit alors : « C'est pour cela que j'ai besoin que tu me donnes toutes les informations qui sont en ta possession. » Je lui raconte alors ma rencontre d'hier, et surtout que ma mère enquêtait sur la mort de mon père. Il regarde l'heure et dit « Je dois me sauver. S'ils remarquent que je suis absent cette fois, je risque de ne pas m'en sortir aussi bien... Désolé ! Mais merci pour tout. Je vais réfléchir, je te le promets. Ne fais rien de dangereux sans moi ! N'entreprends rien s'il te plaît ! » A ces mots il s'en va, sans se retourner. Ne rien faire ? Ne rien entreprendre ? Très peu pour moi ! J'ai besoin d'aide, pas d'un chaperon qui m'empêche de mener mon enquête ! Si je me suis enfuie, c'est pour être libre, pas pour me retrouver à obéir à quelqu'un qui m'utilise ! Je continuerai sans lui, puisqu'il doit absolument partir. Pour qui se prend-il à me parler comme ça ?
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Rien n'arrive par hasard
JugendliteraturEst-ce que tu t'imagines, te lever un matin, et apprendre que ta mère a disparu ? Moi non plus, je ne l'imaginais pas. Avant que ça arrive. Mais maintenant, je suis seule. Et je dois à tout prix la retrouver. Parce que rien n'arrive par hasard.