La peur

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Il va m'accompagner. Je ne sais pas pourquoi j'ai tellement insisté pour qu'il vienne. J'ai besoin de sa présence rassurante je crois. Nous passons devant un grand bâtiment qui avait dû un jour arborer une jolie couleur rouge. Il s'arrête. « Le foyer », dit-il sobrement. « Je dois chercher quelque chose, attends-moi là. »

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Je passe le grillage. À cette heure-là, c'est désert, tout le monde est en cours. Arrivé hors de sa vue, je sors mon téléphone de ma poche et compose le numéro de la police. Je prends une voix grave et sérieuse. « Allo ? Bonjour. Au numéro 45 de la rue du 3 novembre, troisième étage appartement C, des hommes ont une activité louche, c'est dangereux je crois. Merci. » Je reviens vers elle. « C'est bon, tu as trouvé ce que tu cherchais ? » « Oui, oui » Je déteste lui mentir.

Tout au long de la route, je m'attends à ce qu'elle me démasque, à ce qu'elle s'écrie « Tu m'as trahie ! Tu m'as menti ! ». Je rougis de honte, je ploie sous les remords. Pourtant rien n'arrive. Elle ne se doute de rien. Elle bavarde joyeusement comme si nous étions au café et non en train de risquer notre vie. Car même si j'ai appelé la police, qu'est-ce qui me garantit qu'elle arrivera à temps ?

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Nous arrivons devant l'immeuble. Je vois la surprise, puis le dégoût à mesure qu'il découvre les lieux misérables. Il a pitié, lui-aussi. Mais nous ne pouvons pas nous attarder. Nous entrons dans l'immeuble. Je commence à connaître l'endroit, je lui montre le chemin. Arrivés au troisième étage, je lui désigne l'appartement C. La porte poignardée me fait toujours autant d'effet. Je colle mon œil contre la serrure. Rien. J'approche ensuite mon oreille. Aucun bruit. C'est vide. Je lui fais signe. Il ouvre la porte et me laisse galamment rentrer. La pièce est exactement dans le même état où je l'ai laissée quelques heures plus tôt. « Tu crois qu'on peut ouvrir les portes qui sont fermées à clés? », je murmure. « Je peux essayer, mais ça va être compliqué. » Après cinq minutes de tentatives infructueuses, il choisit une autre tactique. « Il y a quelqu'un là-dedans ? » Une faible voix s'éleva. Ma mère ! J'étais folle de joie. Mais il nous ramena bien vite à la réalité. « Ta mère n'est toujours pas sortie d'affaire, puisque la porte est fermée et qu'ils risquent de revenir à tout moment. » Nous répétons la même opération avec la porte suivante, mais sans succès. Je le vois qui se retient difficilement de pleurer. Pourquoi ai-je la chance de retrouver ma mère et pas lui ? J'essaye de le rassurer. « Elle doit être à un autre endroit, c'est normal qu'ils aient plusieurs cachettes. Fouillons les papiers, on trouvera peut-être un indice. » Alors nous cherchons, nous cherchons parmi l'amas de feuilles entassées. Ma mère de l'autre côté de la porte, se désole de ne pas pouvoir nous aider. Mais elle serait bien incapable de faire quoi que ce soit de toute façon, elle est trop faible. Cela fait une semaine qu'elle n'a pas eu un vrai repas. La liste de noms que j'avais en main ce matin n'est plus là. Quelqu'un doit l'avoir rangé. Mais plus je cherche, et moins je trouve. Était-elle seulement dans mon imagination ? Nous sommes assis sur le sol, des papiers éparpillés tout autour de nous. Il commence à pleurer, le découragement le gagne. Je ne sais plus quoi faire pour le consoler.

Il se calme. Mais au même instant, un homme sort de la salle de bain. Depuis tout ce temps, nous étions épiés ! « Intéressant, intéressant » dit-il sarcastiquement. « La fille d'Amélie et son petit-ami ! Qui semble avoir le même problème qu'elle ! Qui cherches-tu, petit ? », demande-t-il avant d'éclater de rire. Il n'a même pas le temps de balbutier un nom que l'homme reprend : « Vous en savez beaucoup trop. Je vais être obligé de vous garder un très long moment ! » Cet homme ne ressemble à aucun des trois hommes aperçus ce matin. Celui-ci a plutôt l'air d'être le chef. Il est plus menaçant, plus grand et costaud que les autres. Mais quelle taille fait donc cette organisation ? Au moment où je me fais ces réflexions, il sort un pistolet de sa poche et le pointe vers nous. Ça y est, c'est vraiment fini.

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J'ai peur. Je ne veux pas mourir maintenant, pas avant de savoir ce qui est réellement arrivé à mes parents. Pour la première fois depuis des mois, j'ai retrouvé un semblant de stabilité grâce à cette fille, et je ne veux pas la perdre.

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Je viens de retrouver ma mère, je viens de trouver l'amour, et il faut qu'à ce moment précis on m'enlève la vie ? Je sais que rien n'arrive par hasard, mais alors pourquoi ? Pourquoi mourir à seize ans, quand on pourrait vivre heureux ? Pourquoi mourir en ayant oublié le goût du vrai bonheur, parce que les mêmes personnes qui nous l'ont ôté il y a dix ans choisissent de recommencer ? Est-ce ma destinée, de rester plongée dans ma tristesse pour l'éternité ? Suis-je condamnée ?

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Je la regarde dans les yeux. Je voudrais qu'avant de mourir elle sache que je l'aime. Mais je suis incapable de prononcer ces mots. Ils ne veulent pas sortir de ma bouche, ils sont bloqués. Et pourtant j'aimerais tant lui dire ! 

Rien n'arrive par hasardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant