Partie 42

71 15 4
                                    

Sans rien dire, je me lève et le laisse seul, rejoignant mon père.

-Je vais aller en Amérique.

Il repose son café pour me cisailler de ses orbes grises.

-Tu es sûr ? Et pour combien de temps ?

-Oui. Je compte y rester deux mois, le mois des vacances, et un mois sans aller au Lycée. Maman m'a proposé ça à brûle-pourpoint, elle savait que c'était un peu tôt, mais Mark voulait que j'assiste à son anniversaire.

-Qui paye ?

-Si je veux bien... elle. Je pars dans une semaine, le lundi des vacances.

-Tu arriveras à gèrer, avec les cours ?

-Je présenterai à mes profs le voyage comme un voyage de découverte en Amérique, pour perfectionner mon anglais. Ils m'enverront par mail les cours, je suppose.

Mon père pouffe de rire.

-Vu la flemmardise de ta mère, je me demande si elle-même a pris le temps de se "perfectionner".

-Ne blâme pas, tu ne sais que dire "bonjour", "au revoir", et "où sont les toilettes ?"...

-Cependant, je le prononce très bien. Tu l'as dis à Jimin ?

-Non, pas encore, mais je doute que ça lui pose problème : il sera chez ses parents durant les vacances.

-Je pense que si, ça lui posera problème. Je te conseille de lui dire au plus vite, ne perd pas sa confiance, ne le blesse pas.

N'appréciant pas que l'homme qui a foutu ma famille en l'air, entre autre, me donne des conseils moralisateurs, je rétorque amèrement :

-Comme t'as fait avec maman ?

L'atmosphère devient pesante. Il repose son café et répond avec une exaspération qui ne fait qu'augmenter la mienne.

-Bon, je t'ai donné mon avis, Yoongi. Tant que tu resteras aussi buté, je ne pourrai pas discuter avec toi, point. On a eu ce débat mille fois. Tu es trop jeune pour comprendre ces choses comme l'amour, et tu es trop blessant pour comprendre ce qu'est la confiance.
Je te conseille de changer Yoongi. Je te le conseille vraiment. Je vais travailler.

Acerbe, déchaîné qu'il me traite comme un gamin, je rétorque alors qu'il quitte la pièce :

-C'est ça, enfuis-toi, coule-toi ! Espèce de sale con !

Avant de balancer, frustré, sa veste de travail qui était posé sur la chaise. Elle s'écrase sur le sol avec un bruit mou, tandis que je la fixe furieusement.
Soudain, sans réfléchir plus que ça, j'y récupère son porte-feuille et empoche dans les deux-cents euros.
S'il ne me donne ni raison, ni amour, alors ce connard aura au moins le plaisir de me filer un peu de thune.

Retournant dans ma chambre, j'y voie Jimin qui est encore dans ses songes et qui ne me prête aucune attention.
De plus en plus énervé face à tous ces égoïstes qui sont perdus dans leur monde, sans penser à moi, je prend mon blouson et claque la porte en sortant de chez moi, à vif.

Merde, trop jeune, trop blessant ? Quelles conneries putain ! Quelles conneries, comment il peut se permettre de dire ça, alors qu'il m'a laissé ? Alors qu'il a fiché ma famille en l'air ? Alors que... putain.
Fais chier, je ne veux même pas y réfléchir... j'ai des aiguilles qui blessent au centre de la poitrine. Mais elles sont largement ravagées par le feu sombre qui brûle mes entrailles.
Quel bâtard, merde.
Les billets paraissent brûler tout autant, dans ma poche.

L'aire de jeu qui m'entoure, abandonnée dans ce mois frileux de novembre, me parait vide de sens. Je fixe les tags inscrit sur la surface jaune sale du toboggan, sur mon perchoir.
J'en regarde un en particulier, très délicat :
"Putin de monde de merd !!"
J'étais pas forcément moins con, avant, mais j'écrivais plus mal.
Gamin frustré d'onze ans, quelle différence avec maintenant ? L'âge. Sinon rien.
Je sors un marqueur que je garde par habitude dans ma poche et gribouille aux côtés de cet écho du passé.
"Ouais. Mais c'est "putain de monde de merde", qu'on dit."
Très malin, Min Yoongi de dix-sept ans.
Il penserait quoi, le Yoongi d'onze ans en te voyant, en relou adulte qui corrige les fautes d'orthographe alors "qu'on s'en fout" ?
Je ne sais pas. Mais je lui ficherais une tarte, en tous cas, parce "qu'on s'en fout" pas de l'orthographe. C'est beau, notre langue. Elle permet d'unir les gens, de faire passer des messages. D'aimer quelqu'un.

Mind FuckOù les histoires vivent. Découvrez maintenant